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répugnances anciennes. Cependant, comme les pussions religieuses n’étaient point directement en jeu, la paix ne fut pas troublée. L’interruption à peu près complète du travail, qui ne laissait aux familles laborieuses d’autres ressources que des ateliers communaux fournissant à peine le pain nécessaire pour vivre[1], n’occasionna point les manifestations menaçantes qui répandirent tant d’effroi dans d’autres cités. Au mois de juin 1848, le contre-coup de la collision insensée dont Paris était le théâtre fut plus vif à Nînes que celui de la révolution de février. Les intérêts politiques avaient eu le temps de se préparer à la lutte et de profiter des difficultés économiques pour ramener le souvenir des masses vers les anciennes querelles. Aussi l’ordre public ne tint qu’à un fil ; mais il fut aisé de voir que c’était encore le vase des passions religieuses qui était près de déborder.

Plus tard, le socialisme, à l’aide de ses publications et de ses émissaires, tâcha, ici comme partout, de s’emparer des sentimens populaires. Sur un sol accoutumé à des émotions très nettement déterminées, il ne trouvait pas les intelligences prêtes à se passionner pour ses axiomes solennels, mais nuageux. Il s’était flatté d’ailleurs de dominer les haines religieuses, non par un égal respect, mais par un profond dédain pour toutes les croyances, et il s’était mis ainsi en désaccord avec les tendances locales. L’indifférence en matière de religion qu’il semait dans quelques esprits, l’envie qu’il éveillait chez d’autres dans l’ordre des intérêts temporels, étaient loin de remplacer les forces vives que lui aliénaient son attitude impie et son étalage d’incrédulité. Toutefois, quand on parle à l’homme, même en termes vagues, de son bonheur actuel, quand on lui promet des jouissances, on est toujours sur de troubler au moins la surface des âmes. Tel fut l’effet des prédications socialistes dans les Garrigues et dans les Cévennes ; seulement on y eut, au mois de décembre 1851, la mesure réelle des conquêtes de la doctrine nouvelle, et l’on vit à quoi s’y réduisent les influences politiques abandonnées à elles-mêmes. Les ouvriers de Nîmes ne bougèrent pas, ne se sentant pas inquiétés dans la partie intime de leur existence par les événemens accomplis. Sur des appels transmis de la ville et accompagnés de bruits controuvés, plusieurs communes rurales s’agitèrent et prirent les armes. On se mit en route pour marcher sur le chef-lieu du département du Gard ; puis, au premier avis défavorable, on se débanda, et chacun rentra chez soi. Est-ce donc qu’on s’était compté ? Est-ce donc que les fils dégénérés des camisards avaient eu peur d’un échec ? A d’autres époques, de semblables motifs n’avaient pas engourdi les bras et fait

  1. Ces ateliers coûtèrent 400,000 francs à la caisse municipale pour des travaux qui n’en valaient pas 4,000.