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le christianisme les achevait et les perfectionnait. Comparez les légendes relatives à l’introduction du christianisme dans les deux pays, la Kristni-Saga, par exemple, et les charmantes légendes de Lucius et de saint Patrice. Quelle différence ! En Islande, les premiers apôtres sont des pirates convertis par hasard, tantôt disant la messe, tantôt massacrant leurs ennemis, tantôt reprenant leur première profession d’écumeurs de mer : tout se fait par accommodement, sans foi sérieuse. En Irlande et en Bretagne, la grâce opère par les femmes, par je ne sais quel charme de pureté et de douceur. La révolte des Germains ne fut jamais bien étouffée ; jamais ils n’oublièrent les baptêmes forcés et les missionnaires carlovingiens appuyés par le glaive, jusqu’au jour où le germanisme reprend sa revanche, et où Luther, à travers sept siècles, répond à Witikind. Dès le iiie siècle, au contraire, les Celtes sont déjà de parfaits chrétiens. Pour les Germains, le christianisme ne fut longtemps qu’une institution romaine imposée du dehors ; ils n’entrèrent dans l’église que pour la troubler, et ne réussirent que très difficilement à se former un clergé national. Chez les Celtes au contraire, le christianisme ne vient pas de Rome ; ils ont leur clergé indigène, leurs usages propres, ils tiennent leur foi de première main. On ne peut douter en effet que dès les temps apostoliques le christianisme n’ait été prêché en Bretagne, et plusieurs historiens ont pensé, non sans quelque vraisemblance, qu’il y fut apporté par des chrétiens judaïsans ou par des affiliés de l’école de saint Jean. Partout ailleurs le christianisme rencontra comme première assise la civilisation grecque ou romaine. Ici, il trouvait un sol nouveau, d’un tempérament analogue au sien, et naturellement préparé pour le recevoir.

Peu de chrétientés ont offert un idéal de perfection chrétienne aussi pur que l’église celtique aux vie, viie, viiie siècles. Nulle part peut-être Dieu n’a été mieux adoré en esprit que dans ces grandes cités monastiques de Hy ou d’Iona, de Bangor, de Clonard, de Lindisfarne. C’est chose vraiment admirable que la moralité fine et vraie, la naïveté, la richesse d’invention qui distinguent les légendes des saints bretons et irlandais. Nulle race ne prit le christianisme avec autant d’originalité, et, en s’assujétissant à la foi commune, ne conserva plus obstinément sa physionomie nationale. En religion comme en toute chose, les Bretons recherchèrent l’isolement et ne fraternisèrent pas volontiers avec le reste du monde. Forts de leur supériorité morale, persuadés qu’ils possédaient la véritable règle de la foi et du culte, ayant reçu leur christianisme d’une prédication apostolique et tout à fait primitive, ils n’éprouvaient aucun besoin de se sentir en communion avec des sociétés chrétiennes moins nobles que la leur. De là cette longue lutte des églises bretonnes contre les prétentions romaines, si ad-