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des différends de la religion eut comme une vision anticipée du débordement des sectes dans les États-Unis d’Amérique. Cet avenir lui sembla le chaos ; il en eut peur et voulut fermer violemment la porte aux derniers venus de la réforme, tant il est difficile que l’homme doué de l’esprit le plus intrépide n’ait pas son moment de stupeur, quand il voit face à face l’avenir que lui-même a évoqué. L’intolérance inattendue d’Aldegonde ne pouvait manquer de lui être reprochée. Pour mieux envenimer la querelle, on réveilla les anciennes calomnies sur la défense d’Anvers, sachant bien que c’était la plaie toujours vive. Aldegonde répondit[1] avec véhémence ; il revint encore une fois douloureusement sur les opérations du siège et adressa aux états ce testament de pieuse colère qu’il termine par un appel suprême à la justice d’en haut. Ce fut sa dernière œuvre.

Il mourut à Leyde le 15 décembre 1598, âgé d’un peu plus de soixante ans ; son corps fut porté à West-Soubourg. Il y avait trois mois à peine que Philippe II était dans son tombeau à l’Escurial.

Où est la statue de Marnix ? demandait, il y a une vingtaine d’années, un des écrivains[2] de Hollande les plus estimés. Elle devrait être en face de celle de Guillaume le Taciturne. Pour moi, je demande : Où sont les ouvrages de Marnix ? où sont un si grand nombre de ses écrits, qu’il m’a été impossible de découvrir dans son propre pays[3], et qui peut-être n’existent plus nulle part ? où est son ouvrage de l’Institution du Prince, qui contenait sa politique ? où est son Commentaire sur le siège d’Anvers, morceau si capital pour l’histoire, et que les derniers historiens de la ville d’Anvers déclarent perdu ? où sont les ouvrages que lui attribuait Juste-Lipse, Du Salut de la République[4], Avertissement aux Rois et aux peuples[5] ? Les uns sont irréparablement détruits ; les autres, réduits à quelques exemplaires presque introuvables, disparaîtront bientôt.

  1. Réponse apologétique de Philippe de Marnix à un libelle fameux publié en son absence, sans nom de l’auteur ou de l’imprimeur, par un certain libertin s’attitrant gentilhomme allemand, et nommant son dit libelle : Antidote ou Contre-poison. Écrite et dédiée à messieurs les états-généraux des Provinces-Unies des Pays-Bas. À Leyde, chez Jehan Paedts. 1598. — Je n’ai eu sous les yeux que la traduction hollandaise de l’original français. Les biographes confondent à tort la Réponse apologétique, qui est de 1598, avec le Commentaire sur le siège d’Anvers, publié en 1585, ainsi qu’on l’a vu, c’est-à-dire treize ans auparavant.
  2. M. Scheltoma.
  3. De Institutione principis, ouvrage posthume, 1615. — De Cœnâ Domini, ad Galliarum Régis sororem Lotharingioe duci nuptam, 1590. — Contra Libertinos, 1598. — Via veritatis, 1620. — Examen Rationum quibus Rob. Bellarminus pontificatum Romanum adstruere nititur, 1603.
  4. Commentatio ad Serenissimos Reges, principes, de Republicâ et incolumitate servandâ, 1583.
  5. Admonitio ad orbis terrae principes qui se suosque salvos volunt, 1587.