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punit d’une amende de 20 à 50 francs quiconque pêchera, colportera ou débitera des poissons qui n’auront point les dimensions fixées par les ordonnances, mais il excepte de cette disposition les ventes de poisson provenant des étangs ou réservoirs : on conçoit dès lors combien il est commode, à l’abri de cette exception, de pêcher et de vendre des poissons de toute taille. L’article 24 interdit de placer dans les cours d’eau aucun barrage, appareil ou établissement quelconque de pêcheries ayant pour objet d’empêcher entièrement le passage du poisson, mais il autorise implicitement les digues et vannes d’usines qui produisent les mêmes effets. Nous ne pousserons pas plus loin ces objections. Il nous serait tout aussi facile de montrer qu’aucune mesure efficace n’assure l’exercice de la police de la pêche, et que la loi est par le fait aussi mal exécutée qu’elle est mal conçue. Cet état de choses est déplorable, et nul doute qu’il n’ait dû contribuer très puissamment à amener le dépérissement dont est frappée en France l’industrie des eaux[1].

Quelques chiffres puisés dans les archives du ministère des finances feront apprécier nettement la gravité du mal. Les coure d’eau de la France constituent une étendue totale de 197,255 kilomètres ; ses lacs, ses étangs et ses viviers occupent une superficie de 220,000 hectares. Or le fermage, de toutes les eaux régies par l’administration des forêts et par celle des ponts et chaussées donne à l’état un revenu de 661,000 francs. À elle seule l’administration des forêts afferme pour la pêche 7,570 kilomètres de cours d’eau navigables ou flottables qui produisent la somme annuelle de 521,395 francs. C’est en moyenne 69 francs par kilomètre. La faiblesse de ce chiffre est très frappante lorsqu’on songe à ce qu’il devrait être ou même quand on le compare à celui que fournissent encore quelques rivières plus favorisées que les autres. Ainsi le Doubs, dans le Jura, est affermé à raison de 159 francs le kilomètre ; la Moselle, dans le département de la Meurthe, à raison de 182 francs. Pour une même étendue, la Loire rapporte 252 francs dans la Loire-Inférieure, la Sarthe 297 fr. dans le Maine-et-Loire, et le Loiret 309. La Mayenne produit 339 fr., et la Seine 498. Quant à la Maine, elle donne la somme exceptionnelle de 1,378 fr. À côté de ces chiffres plus ou moins satisfaisans, beaucoup d’autres au contraire attestent l’extrême rareté du poisson. L’Ain, dans le Jura, produit seulement 14 fr. par kilomètre ; la Dordogne, dans le département de la Corrèze, 10 francs, l’Isère 8 francs, la Drome 4, et la Durance 2. Enfin 219 kilomètres sont à ce point dépeuplés, qu’ils n’ont pu être affermés, à quelque prix que ce fût.

Cette inégalité si prononcée dans les revenus de plusieurs rivières, qui en général offrent aux poissons des conditions à peu près semblables, ou dont

  1. Le mal s’est encore accru par les envahissemens de l’industrie manufacturière ainsi que par les travaux de toute sorte qu’ils ont nécessités. Les usines se débarrassent dans les cours d’eau de leurs acides et de leurs sels devenus inutiles ; les blanchisseurs y jettent leurs chlorures. Il faut souvent pour exécuter les dragages ou les curages mettre à sec le lit des rivières. Enfin les bâtimens à vapeur, par les brusques mouvemens qu’ils déterminent dans l’eau, soulèvent et portent sur les berges les jeunes poissons, qui bientôt s’y trouvent arrêtés et y périssent. Ces dernières causes de destruction sont peut-être plus funestes encore au développement de l’alevin que les pratiques coupables des braconniers.