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de l’eau. Déjà M. Vogt[1] avait eu soin de les mettre dans un sac de mousseline perméable de toutes parts, qu’il jetait au lac après l’avoir attaché à un pieu ou maintenu en place par une grosse pierre. En partant du même principe, M. Millet est arrive à un résultat plus complet et plus sur. Il place les œufs sur des tamis que de petites tringles glissant sur les bords des rigoles portent à la hauteur désirée. Cet habile expérimentateur a employé successivement des tamis de diverses substances, de crin, de soie, d’osier, etc., et a fini par donner la préférence aux toiles métalliques galvanisées, qui ont plus de solidité et de durée, ne s’altèrent pas, se nettoient très bien à l’aide d’une brosse et ne sont que très rarement envahies par les algues[2].

La dépense d’établissement d’un semblable appareil d’incubation est tout à fait insignifiante. Toute la main-d’œuvre consiste à remplir soir et matin le réservoir, à remuer le tamis une fois par jour et à enlever les œufs qui deviendraient opaques. Depuis plusieurs années, des œufs de truite, de saumon, d’ombre-chevalier, etc., se sont développés de la sorte et sont éclos en quantités considérables dans l’appartement même que l’expérimentateur occupe à Paris, au milieu de la rue Castiglione.

Lorsqu’on peut opérer dans l’eau même d’une rivière, d’un lac ou d’un étang, M. Millet recommande l’emploi de tamis doubles en toiles métalliques qu’on maintient à une hauteur convenable à l’aide de flotteurs, et qui suivent toutes les variations du niveau de l’eau. Pour les espèces qui fiaient en eau dormante, il garnit le double tamis d’herbes aquatiques, ou se borne à placer leurs œufs dans de grands baquets avec des plantes qui empêchent l’eau de se corrompre. Lorsqu’on veut transporter les œufs fécondés à de grandes distances, M. Millet conseille de les placer dans une boite plate en couches peu épaisses, entre deux linges mouillés. Il en a expédié dans ces conditions à Florence, qui sont arrivés chez M. Vaj et chez le professeur Cozzi après vingt ou vingt-cinq jours de route, et n’ont pas tardé à y éclore. L’usage des linges humides est préférable à celui des herbes aquatiques ; les linges se dessèchent moins rapidement et facilitent le déballage, qui, dans l’autre cas, exige beaucoup de temps et de précautions. M. le marquis de Vibraye, à qui la Sologne doit tant d’améliorations utiles, et qui a déjà introduit dans ses propriétés de nombreuses truites provenant de fécondations artificielles, s’est également servi avec avantage de petits coussinets en ouate. Lorsqu’il s’agit d’œufs très délicats, et que le transport doit s’opérer pendant l’été, M. Millet emploie quelquefois la petite glacière portative dont nous avons déjà donné la description.

Une fois que les jeunes poissons ont résorbé complètement leur vésicule ombilicale, c’est-à-dire quelques semaines après l’éclosion, l’auteur de ces curieuses expériences est d’avis qu’il ne faut pas chercher à les nourrir en captivité, et qu’il vaut mieux les disséminer immédiatement dans les eaux où ils

  1. Embryologie des salmones, Histoire naturelle des poissons d’eau douce, par L. Agassiz, p. 16, 1842.
  2. Ces algues, désignées souvent sous le nom de moisissure ou de byssus par les différens auteurs, et que M. de Quatrefages a si heureusement comparées à la muscardine des vers à soie, appartiennent toutes, suivant M. Charles Robin, à l’espèce nommée par Nées d’Esembeck achlya proliféra.