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complie au moment où elle pouvait devenir le gage de la paix générale, où elle n’eût été qu’un acte spontané de conciliation. Si c’est une tactique politique, s’il s’agit pour la Russie de gagner du temps en se renfermant dans ses frontières, de séparer de nouveau l’Allemagne de l’Angleterre et de la France en créant à la première la tentation d’une neutralité périlleuse et en restant en état de guerre avec les deux puissances occidentales, est-il bien sûr que l’Autriche elle-même se laisse endormir par ces lenteurs nouvelles, qui auraient l’inconvénient de ne la délivrer d’aucune des charges d’une expectative armée et onéreuse ? Après tout, dans la paix qui terminera cette crise fatalement engagée, l’Autriche a autant d’intérêt, plus d’intérêt peut-être que l’Angleterre et la France. Qu’on remarque au surplus que jusqu’à ce moment les faits ne semblent guère justifier ces plans, inspirés par le désir de la paix, puisque les opérations de l’armée russe se poursuivent sur le Danube, et que si elle n’a pas encore emporté Silistrie, c’est qu’évidemment elle ne l’a pas pu.

Ce qui est certain aujourd’hui, en dehors de ces combinaisons problématiques et de ces conjectures, c’est que la situation générale apparaît sous des couleurs de plus en plus tranchées. D’un côté, la Russie est seule, réduite à cet isolement qui est la condition fatale de toute politique incompatible avec la sécurité du continent ; de l’autre, les quatre puissances européennes tendent chaque jour davantage à se rapprocher dans leurs vues et dans leur action. Ce n’est pas seulement en elles-mêmes que ces puissances trouvent leur force, c’est dans l’appui moral qu’elles rencontrent chez tous les peuples, chez la plupart des gouvernemens, si bien que là où les gouvernemens inclinent vers la Russie, c’est qu’ils sont en contradiction avec le sentiment public.

N’est-ce point là ce qui arrive en Danemark ? Il y a à Copenhague un ministère obstiné à vouloir faire disparaître une constitution que l’immense majorité du pays s’obstine à vouloir maintenir, et que le roi lui-même ne veut pas réformer sans le concours de la représentation nationale. Le cabinet Œrsted a vu ses propositions repoussées dans les chambres par une véritable unanimité. Quelle est la force qui le soutient ? C’est l’appui de la diplomatie russe. Le ministère danois avait été un moment obligé de quitter le pouvoir ; il y a quelques jours, il a réussi à revivre, et s’il ne représente pas absolument l’influence russe, c’est du moins par elle qu’il se maintient au milieu d’un pays ouvertement favorable à la France et à la politique des puissances occidentales. La Suède nourrit des sympathies plus vives encore peut-être pour l’Occident. Il se manifeste parmi les Suédois un mouvement d’opinion remarquable ; les vieux griefs contre la Russie se réveillent, et le sentiment national frémit au souvenir de la perte de la Finlande. Ainsi, dans la neutralité dont leur situation leur fait un devoir, la plupart des peuples de l’Europe sont par leurs sentimens favorables à la politique occidentale. Ce qu’il y a de singulier, c’est que si la Russie ne rencontre point ces sympathies qui naissent d’un instinct profond de solidarité, elle essaie du moins, à ce qu’il semble, de créer des diversions. On apercevait récemment les traces de son influence dans les agitations du miguélisme en Portugal ; on pouvait, dit-on, les observer en Espagne, dans quelques désordres sans durée et sans caractère sérieux.