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Quant à la France dans son état intérieur, si l’on pouvait douter des changemens opérés depuis un demi-siècle dans les directions de l’esprit public, il suffirait d’observer les dispositions universelles. Ce n’est point aujourd’hui uniquement par un instinct belliqueux, ni même sous l’empire d’une ambition nationale que les peuples se jettent dans la guerre ; il faut une considération plus puissante, celle de la sécurité et de l’ascendant moral de l’Occident, pour qu’on se résolve à cette nécessité suprême qui met sur pied toutes les armées, toutes les forces. Trop d’intérêts sont liés à la paix pour que les gouvernemens aient pu être tentés de les risquer légèrement, et c’est là ce qui s’élève le plus contre la politique russe, qui est venue interrompre cet immense mouvement pacifique. La France particulièrement n’a-t-elle point tous ses travaux intérieurs à poursuivre, ses finances à restaurer ? N’a-t-elle point à côté d’elle, sur l’autre rive de la Méditerranée, un empire à fonder, dont les progrès étaient récemment constatés par un rapport du ministre de la guerre ? En ce moment même, n’y a-t-il pas à relever ce vieux Paris qui tombe chaque jour sous le marteau ? Combien d’autres entreprises, combien d’autres intérêts dont la masse forme la vie matérielle du pays, qui ont besoin de sûreté et de ressources, et qui ne manqueront pas de subir l’inévitable influence d’une crise prolongée ! Tout ce que peuvent les gouvernemens, c’est de tempérer cette crise, comme ils l’ont fait, par des mesures protectrices pour le commerce, et de l’abréger par un vaste déploiement de forces. Le gouvernement, on le sait, a demandé, il n’y a pas longtemps, soixante mille hommes de plus au recrutement annuel, et il annonçait, il y a peu de jours, que la France comptait maintenant quatre escadres, formant un ensemble de 105 bâtimens de guerre, dont 38 vaisseaux, IO frégates à voiles, 10 frégates à vapeur, 30 corvettes ou bricks. En définitive, la force publique est toujours la première question.

Il y en a une autre qui n’est pas moins grave, C’est la question financière ; là est le ressort de la guerre. Or quelle est aujourd’hui la situation des finances françaises ? Elle vient d’être exposée dans le budget soumis au corps législatif. Telle qu’elle est présentée, cette situation n’a rien que de rassurant, elle est même basée, sur la prévision d’un excédent de revenu pour 1855. Les dépenses sont fixées à la somme de 1,562 millions, les recettes au chiffre de 1,566 millions ; mais ce sont là les prévisions d’un temps ordinaire. Il faut souhaiter que même dans sa combinaison normale de dépenses et de recettes le budget de 1855 conserve cet équilibre. Il restera encore assez des dépenses extraordinaires, dont la limite ne peut être fixée d’avance. Déjà l’emprunt de 250 millions introduit dans le budget une charge normale de 11 millions affectés aux intérêts. Quelles ressources nouvelles deviendront nécessaires et quelles charges en découleront pour l’état ? C’est là ce que nul ne pourrait dire à coup sûr ; c’est la part de l’imprévu, que les événemens peuvent diminuer ou accroître, mais qui constitue toujours dès ce moment un budget extraordinaire sous le titre de frais de la guerre. Certes, s’il y eut jamais une heure faite pour inspirer la pensée de prudentes économies, c’est bien l’heure actuelle. Cela n’est point cependant aussi aisé qu’on le croit. D’abord sur l’armée et la marine, il n’y a évidemment rien à retrancher, il n’y a qu’à ajouter. Diminuer les dépenses des travaux publics, c’est risquer de suspendre