Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1082

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à travers les événemens et les luttes de quatre siècles, en faisant grandir, à côté de la portion de la péninsule restée la plus désarmée et la plus livrée à la domination étrangère, un petit peuple mâle et vigoureux. Une des plus heureuses fortunes du Piémont, c’est d’avoir une vie propre, un mouvement distinct dans l’ensemble du développement de l’Italie. Il n’était encore qu’un petit état enfermé dans ses vallées de la Maurienne et du Chablais, de la Tarantaise et d’Aoste, quand la civilisation italienne marchait déjà à ses destinées. Seulement, ce qui a manqué à l’Italie pour l’arrêter sur le penchant de la décadence, le Piémont l’a eu. Tandis que l’Italie périt par l’excès des divisions et des morcellemens se combinant avec la domination étrangère, le Piémont a son unité morale et politique, sa force secrète de concentration. Tandis qu’on ne voit sortir de l’obscurité, dans le reste de l’Italie, que des pouvoirs disputés, des familles d’une originalité en quelque sorte toute locale, représentant la commune, la ville, un parti, et point de ces familles ayant le caractère royal, personnifiant à un degré élevé la vie nationale, le Piémont a une dynastie à la fois ancienne et populaire, se rattachant par les souvenirs à la vieille Italie, et trouvant dans une noblesse fidèle des appuis et pas de rivalités. Quand les sophistes déclament contre les dynasties, ils ne s’aperçoivent pas que ces dynasties sont l’instrument le plus puissant de la grandeur d’un peuple, qu’elles ne sont que des dépositaires plus invariables des traditions publiques, que leur ambition même n’est le plus souvent que l’expression du rôle historique d’un pays. C’est ce qui a manqué à l’Italie, et cela est si vrai, que les autres états italiens sortis indépendans de la mêlée de l’histoire n’ont assuré leur indépendance qu’en se rangeant sous des familles étrangères. C’est la maison de Bourbon qui règne à Naples ; c’est la maison de Lorraine qui, à l’extinction des Médicis, au XVIIIe siècle, allait régner à Florence.

Enfin, tandis que l’Italie, submergée de siècle en siècle par toutes les invasions étrangères, reste seule désarmée, sans force militaire nationale, répugnant aux mœurs guerrières et se servant de soldats mercenaires, de condottieri, le Piémont a une armée et se discipline dans les camps. Le fond même de ce peuple est essentiellement différent ; il n’a ni l’éclat ni les séductions des autres populations italiennes : il est rude et opiniâtre ; c’est une population de mœurs graves et simples, sans ardeur pour les nouveautés. Aujourd’hui même encore, plus on descendrait dans le peuple, plus on trouverait cet élément primitif et conservateur pour qui toute la politique se résume dans la fidélité à la maison de Savoie. C’est par cet ensemble d’élémens et de forces que le Piémont a grandi, noyau toujours accru d’une puissance nouvelle au-delà des Alpes. Il se forme par des