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au trône le successeur immédiat de Victor-Emmanuel, le duc de Genevois, personnification plus nette de la politique absolutiste et autrichienne. Les chefs du mouvement allaient-ils reculer et se soumettre ? Alors leur tentative n’avait été que la plus puérile des témérités. — Iraient-ils au-delà ? Alors ils se trouvaient en face de l’Europe coalisée à Laybach. Voilà ce que n’avaient point vu les auteurs de la révolution piémontaise de 1821, et ce que n’avait point tardé à apercevoir, quant à lui, le prince de Carignan.

Quelle était en effet la part de Charles-Albert dans ces péripéties ? Il n’est point douteux que jusqu’au 10 mars il avait écouté les confidences de toutes les aspirations patriotiques des auteurs de la révolution, mais il n’avait point été le complice de leurs actes. L’abdication de Victor-Emmanuel venait le placer dans la situation la plus critique en le mettant comme régent à la tête de l’état jusqu’au retour du nouveau roi, qui se trouvait en ce moment à Modène. S’il tentait de briser brusquement avec la révolution, il risquait d’être emporté à son tour, laissant un interrègne d’anarchie ; s’il pactisait avec elle, il glissait dans l’usurpation, et jetait le Piémont dans la plus effroyable catastrophe en présence de l’Europe ennemie et armée. De là une politique d’ambiguïté et d’expédiens : d’un côté, sous la pression du carbonarisme débordant, il était forcé de proclamer la constitution espagnole ; de l’autre il laissait à l’insurrection d’Alexandrie le caractère d’une rébellion en l’amnistiant, il dissolvait les juntes révolutionnaires et se mettait en communication avec le duc de Genevois. Il avait à la fois à soutenir le choc de la réaction absolutiste, qui se réveillait d’un moment de surprise, et des conjurations secrètes, qui le dévouaient aux poignards de leurs sicaires. L’âme de ce prince de vingt-deux ans avait à passer dans ces journées par les anxiétés les plus terribles, et ces anxiétés s’accroissaient encore lorsque le marquis de Costa, envoyé à Modène auprès du nouveau roi, en rapportait une foudroyante réponse. Charles-Félix déclarait hautement et fièrement qu’il ne reconnaissait rien de ce qui se faisait en Piémont, que le premier devoir pour tous était de se soumettre, et que l’armée devait se concentrer à Novare sous les ordres du général de La Tour. En même temps, dans une lettre particulière, Charles-Félix disait au prince de Carignan : « Je verrai par la promptitude de votre obéissance si vous êtes encore un prince de la maison de Savoie, ou si vous avez cessé de l’être. »

On voit combien le terrain se rétrécissait à chaque pas. Il ne restait plus qu’une résolution suprême, et cette résolution, le prince de Carignan la prenait secrètement le 21 mars. Son dernier acte, comme pour livrer l’insurrection à elle-même, était la nomination de Santa-Rosa au ministère de la guerre, et dans la nuit il quittait Turin,