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victimes comme les frères Bandiera ; il était au contraire une réaction contre elles, contre M. Mazzini, le premier des conspirateurs, et sa grande machine de destruction, la Jeune-Italie. Il tendait à faire passer au grand jour tous ces vœux, tous ces besoins moraux, toutes ces espérances d’un peuple, dont les conciliabules secrets avaient eu jusque-là le privilège de se faire une arme envenimée et impuissante. C’était un esprit nouveau qui se formait et qui, en jour suivant son œuvre à la lumière du jour, était conduit à se pénétrer d’un sens plus modéré et plus pratique. Chercher les causes des catastrophes italiennes, étudier l’histoire, faire comparaître le passé, le présent, les conditions, les intérêts, les besoins de l’Italie, sans oublier ses fautes, tel était le caractère de ce mouvement, servi par une légion d’écrivains et de publicistes, soit dans l’émigration, soit dans la péninsule même.

Il y avait surtout trois œuvres qui étaient venues remuer fortement les esprits, et qui, par une singularité remarquable, émanaient de trois Piémontais : c’étaient le Primato civile degli Ilaliani, de Vincenzo Gioberti (1843) ; les Espérances de l’Italie, du comte César Balbo (1844), et les Casi di Romagna, de M. Massimo d’Azeglio (1846). Prêtre piémontais et réfugié en Belgique, jeté par la politique hors de son pays dans les mouvemens de 1833, Gioberti ne partageait point les idées des sectaires des associations secrètes. Là où ceux-ci voulaient détruire, il voulait régulariser et affermir. Il parlait avec modération aux princes de leurs devoirs, avec gravité aux Italiens de leurs fautes et de leurs passions, à tous des moyens de travailler en commun à une régénération nationale. Mais quels étaient ces moyens ? Au milieu des divisions de l’Italie Gioberti, voyait sa force, son unité morale dans la papauté, sa force matérielle et défensive dans le Piémont, dans Charles-Albert. De là l’idée d’une confédération d’états placée en quelque sorte sous l’autorité morale du saint-siège, et ayant pour bouclier la force militaire la plus imposante de la péninsule. Ce que Gioberti disait du roi de Sardaigne ne laissait point d’être étrange et de ressembler à une habile flatterie. » Charles-Albert, disait-il, a devancé de vingt ans les récens écrivains sur l’idée italienne. Ce sont ceux-ci qui ont mis ses actes en paroles ; ce n’est point lui qui mettrait en action la parole des écrivains. » Mettre la nationalité italienne debout par cette confédération d’états, tuer l’esprit révolutionnaire par un système de progrès civil dirigé par les princes eux-mêmes, c’était là la pensée du Primato, enveloppée dans des théories parfois confuses, souvent neuves et frappantes.

César Balbo, âme loyale de gentilhomme monarchique et libéral, caractère élevé et pur, rappelait par son nom un des hommes les plus estimés du Piémont, son père le comte Prospero Balbo, qui