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enraciné l’esprit local ou municipal. Le parti modéré lui-même n’était point sans avoir ses nuances, qui correspondaient assez à celles du parti républicain. L’idée d’une monarchie unitaire, embrassant l’Italie tout entière, avait ses sectateurs ; d’autres tournaient leur pensée vers une confédération d’états qui, en laissant à chacun son indépendance, eût créé une force nationale collective, et eût superposé une sorte d’autonomie italienne à l’autonomie individuelle de chaque pays. Il en était qui n’étendaient point leurs vues au-delà de ce qui existait, en l’améliorant par des réformes intérieures. En un mot, aspirations républicaines, tendances constitutionnelles, traditions municipales, — ce mouvement créait une issue à tout, il était comme la mêlée confuse de toutes les opinions. M. Mazzini, par son action sur les sociétés secrètes, conservait indubitablement une puissance réelle ; des passions sinistres fermentaient dans l’ombre, mais ces passions étaient obligées de se dissimuler, et telle était l’impopularité de la jeune Italie, surtout depuis la malheureuse aventure des frères Bandiera, que les disciples de M. Mazzini étaient réduits à supplier leur oracle de se taire[1].

Pour le moment, les dissentimens s’effaçaient par habileté chez les uns, par instinct de patriotisme chez les autres. Une idée dominait tout, l’idée de nationalité et d’indépendance qu’avaient exprimée Gioberti et Balbo, — fascination des cœurs et des intelligences ! C’était le temps merveilleux pour l’Italie contemporaine. Il y a dans la vie des peuples, comme dans la vie des hommes, des instans qu’on voudrait fixer : ce sont ceux où les espérances ne sont pas corrompues, où règne encore l’illusion des vœux légitimes qu’on aspire à satisfaire, et où les haines des partis exaspérés n’ont pas eu le temps de pervertir les situations les plus belles. M. Mazzini, dans ses confidences, parlait avec une souveraine et railleuse pitié de ce merveilleux accord, qui avait le tort de se produire sous un autre drapeau que le sien ; il n’y voyait que cette politique sentimentale de quelques néo-catholiques, « qui pardonne tout, espère tout de tous, embrasse roi, peuples, fédéralistes, unitaires, et entend que la résurrection de l’Italie s’accomplisse en Arcadie ! — La concorde ! poursuivait-il dans une lettre au sujet d’un journal fondé à Turin sous ce nom, — le titre même du journal est arcadique… la concorde ! entre qui ?… » Ne dirait-on pas le génie des divisions forcé de se tenir à l’écart, mais sûr d’avoir son heure, et jusque-là jetant son sarcasme à l’illusion universelle ?

Ainsi, par ce double courant des questions matérielles qui surgissaient

  1. Voir l’Archivio triennale, recueil où sont racontés tous les événemens de l’Italie à cette époque.