Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1116

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décrets complétaient ceux du 30 octobre. Que manquait-il à cette politique, si ce n’est de faire un pas de plus et de toucher à une réforme constitutionnelle ? C’est ce qui arrivait le 8 février 1848, un mois à peine après les premiers jours de cette terrible et mystérieuse année qui venait de s’ouvrir par une insurrection en Sicile. Le 8 février, Charles-Albert promulguait les dispositions essentielles qui sont devenues le statut actuel du Piémont, et tous ces actes s’accomplissaient au milieu de l’effervescence croissante de l’Italie, au milieu des ovations enthousiastes où se mêlaient les acclamations à Pie IX, à Charles-Albert, roi d’Italie. Bien d’autres cris s’échappaient du sein de ces populations frémissantes et étaient de nature à faire réfléchir.

Une des scènes les plus extraordinaires de ce temps sans nul doute, une de celles où se révèle l’exaltation des esprits et qui semble marquer la fin d’une période, c’est une manifestation qui avait lieu à Turin le 27 février pour la convocation de la garde civique. Les corporations, la magistrature, l’université, les académies, étaient représentées. L’appareil des fêtes se déployait partout. Des députations des provinces, de Gênes, de Chambéry, de Nice, de Novare, d’Alexandrie, d’Aoste, de Pignerol, marchaient précédées de leurs bannières diverses. Dans cette procession se faisait remarquer un groupe d’hommes, la plupart jeunes encore, portant les signes du deuil, et sans drapeau : c’était une députation des réfugiés lombards, qui affluaient à Turin depuis quelque temps. Placé au milieu de son cortège royal, Charles-Albert, la tête grisonnante, la figure pâle et sérieuse, voyait défiler devant lui ces masses d’hommes qu’il semblait sonder du regard, lorsqu’un bruit se répandit tout à coup dans cette foule avec une rapidité électrique : c’était la nouvelle de la révolution qui venait d’éclater à Paris le 24 février. Révélation foudroyante d’une situation nouvelle ! Pour tous ces élémens incandescens qui s’agitaient en Italie, qui se trouvaient en quelque sorte résumés là, sur la Place d’Armes de Turin, il ne restait plus qu’à se confondre, et de cette confusion allait sortir Charles-Albert l’épée dans une main, le drapeau de l’indépendance dans l’autre. Certes le roi piémontais avait le droit de répéter alors aux faiseurs d’ovations et de manifestations ce qu’il disait d’eux, non sans dédain, dans une de ses confidences intimes du 6 mai 1846 : « Quand le temps sera venu, au lieu de crier, qu’ils viennent verser leur sang avec le mien pour la patrie ! »


CHARLES DE MAZADE.