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semblait à son tour prendre à tâche de compromettre par ses vengeances odieuses, par ses prétentions insensées, le trône dont il se disait, dont en effet il était l’ami. Les ultra-royalistes, c’est le nom qu’on ne tarda pas à donner à ces hommes imprudens, dominant à la cour, investis des principales fonctions publiques, réunissant la majorité des voix dans la chambre des députés, dont les membres venaient d’être élus au milieu de circonstances peu faites pour favoriser la libre expression de l’opinion publique, les ultra-royalistes se livraient contre leurs adversaires à une violente et terrible réaction. Le sang des bonapartistes ou de ceux qu’on désignait comme tels coulait dans les départemens du midi sous le fer des assassins ; l’échafaud politique se dressait déjà, les prisons étaient encombrées, et la chambre, loin de penser à arrêter ces excès, demandait des supplices, des confiscations, l’abolition des lois nouvelles, le rétablissement de la plupart des institutions de l’ancien régime. Le gouvernement n’opposait encore à de telles fureurs qu’une molle résistance ; les alliés s’en effrayaient d’autant plus qu’ils connaissaient et peut-être même s’exagéraient la faiblesse réelle du parti qui abusait ainsi d’un ascendant passager. Aussi craignaient-ils qu’en entraînant la royauté dans ces témérités déplorables, en la mettant ainsi en butte aux ressentimens de la grande majorité de la nation française, on ne préparât une nouvelle et prochaine catastrophe.

Les lettres dans lesquelles lord Castlereagh et le duc de Wellington rendaient compte à leur gouvernement de cet état de choses sont remarquables surtout parce qu’on y trouve l’expression significative de leur bon vouloir pour la dynastie qu’ils venaient de replacer sur son trône et qu’ils défendaient contre des hostilités de toute nature, comme aussi des inquiétudes qu’ils éprouvaient sur son avenir et des efforts qu’ils faisaient pour se rassurer et pour rassurer le cabinet de Londres, plus inquiet encore :

« Le roi, écrivait lord Castlereagh le 14 septembre 1815, par conséquent quelques jours avant la réunion des chambres et même avant la retraite de M. de Talleyrand et de Fouché, le roi, avec de la fermeté, une politique franche et droite et en contenant les royalistes, peut trouver dans les hommes qu’a élevés la révolution de quoi former un parti capable de gouverner ; mais du parti de la cour et des royalistes de haute volée, il ne peut tirer, dans les conjonctures actuelles, que faiblesse et confusion. — On ne peut mettre en doute le dévouement royaliste de la nouvelle représentation nationale : s’il pouvait être modéré au lieu d’être surexcité par la cour, les ministres y puiseraient une force qui les mettrait en état de surmonter tous les obstacles… Les bonapartistes et les jacobins, contenus et surveillés, tomberaient bientôt dans l’insignifiance. — Mais je crains que le jeu ne prenne une autre direction. La cour, c’est-à-dire Monsieur et la duchesse d’Angoulème, — va probablement avant tout exciter les royalistes à courir sus à Fouché, comme au membre le plus odieux du cabinet, et puis au gouvernement tout entier.