Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’anxiété des alliés était toujours grande. L’empereur de Russie particulièrement se prononçait avec une extrême vivacité contre ce qu’il appelait la faiblesse du gouvernement français et contre l’influence désastreuse de Monsieur, frère du roi, qui, en sa qualité de colonel-général de la garde nationale, exerçait sans responsabilité, dans toute l’étendue du royaume, au profit de l’opinion ultra-royaliste, une action contraire à celle des conseillers constitutionnels de la couronne. La chambre introuvable existait encore, elle devait prochainement reprendre sa session, et personne ne doutait qu’elle ne se livrât aux dernières violences contre les ministres qui, en la prorogeant, l’avaient arrêtée au milieu de ses tentatives réactionnaires. On voyait en perspective le triomphe passager des ultra-royalistes s’emparant pour quelques mois du pouvoir et bientôt renversés par une révolution nouvelle que leurs excès auraient provoquée, et qui n’épargnerait pas même le trône. Déjà les esprits inquiets se demandaient quel nouvel ordre de choses sortirait de cette crise. Certains réfugiés français retirés en Belgique, où ils trouvaient asile et protection et où la connivence du pouvoir leur permettait de publier contre Louis XVIII et son gouvernement les pamphlets les plus outrageans, avaient conçu la pensée d’appeler à régner sur la France le prince d’Orange, fils du roi des Pays-Bas et beau-frère de l’empereur Alexandre. Ce jeune prince, d’un caractère léger et facile autant que brave et ambitieux, s’était laissé enlacer dans leurs intrigues ; il parait même certain que des insinuations avaient été faites dans ce sens à l’empereur de Russie, qui sans doute ne les avait pas formellement accueillies, mais ne les avait pas non plus absolument découragées, parce qu’il commençait à désespérer de la consolidation de la royauté légitime, qu’il avait toujours cru difficile de faire coexister en France avec le régime constitutionnel, objet de toutes ses prédilections.

L’ordonnance du 5 septembre 1816, que M. Decazes arracha enfin aux irrésolutions de Louis XVIII et du duc de Richelieu, mit un terme à cet état d’anxiété, qui n’aurait pu se prolonger sans péril. Le gouvernement français, en dissolvant la chambre des députés, en proclamant que la charte ne pouvait être modifiée et en rompant d’une manière absolue avec le parti ultra-royaliste, se plaça sur le terrain où les conseils de l’Europe l’appelaient depuis longtemps, non pas qu’on n’aperçût aussi de ce côté de grands dangers, mais parce que dans la voie contraire on ne voyait qu’une ruine certaine. Par un appel hardi à la nation, il réussit, non sans peine, à faire sortir d’un système électoral organisé pour de tout autres besoins une chambre nouvelle animée en majorité de l’esprit qui avait inspiré cette espèce de coup d’état. Le premier usage qu’il fit de sa victoire