Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/1133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entre les états voisins sur lesquels les principes désorganisateurs ont fait moins d’impression, jusqu’à ce que la situation intérieure de la France et du nord de l’Allemagne soit plus assurée… Pour le moment, la meilleure attitude que vous puissiez prendre est de vous tenir tranquille… J’aurais soin de vous donner des directions, s’il me semblait qu’il y eût lieu d’agir ; mais en général mon système n’est pas d’encourager, de la part de l’Angleterre, une ingérence non absolument nécessaire dans les affaires du continent. Son intervention aura d’autant plus d’autorité qu’on ne la compromettra pas en la prodiguant hors de propos dans les difficultés journalières des divers états. »


On voit par cette lettre que lord Castlereagh, tout en se préoccupant des conséquences que le régime constitutionnel pourrait entraîner en Prusse, ne doutait pas de son prochain établissement. Cependant le cabinet de Berlin, qui apparemment partageait ces inquiétudes, laissa voir des hésitations. L’impatience du parti libéral s’en irrita ; il commença à croire qu’on l’avait trompé par de fallacieuses promesses, et le pays fut bientôt livré à une agitation dont l’Europe allait avoir à se préoccuper.

Le royaume des Pays-Bas, auquel le cabinet de Londres prenait plus d’intérêt encore qu’à la Prusse, lui causait également, bien que pour d’autres motifs, d’assez vives alarmes. Là le régime constitutionnel existait déjà ; mais le roi Guillaume, dominé par un désir immodéré d’action personnelle, l’avait fondé sur des bases singulières, qui n’offraient de garanties suffisantes ni au peuple, ni au souverain lui-même. Comme l’écrivait le 10 février 1816 le chargé d’affaires d’Angleterre, le roi, avec des idées très libérales, avait donné une constitution qui n’assurait ni à lui-même ni à son gouvernement le degré de force nécessaire ; en n’assignant à ses ministres aucune part de responsabilité, il avait fort compromis sa propre popularité sans les mettre le moins du monde à l’abri de la censure publique, et par la manière dont il avait organisé les états provinciaux chargés de l’élection de la seconde chambre, il s’était ôté les moyens d’exercer aucune influence sur la formation de cette chambre, qu’il ne s’était pas non plus réservé le droit de dissoudre. Les belges étaient d’ailleurs mécontens de la faveur exclusive témoignée à une petite oligarchie hollandaise qui accaparait presque toutes les fonctions publiques, et ils ne devaient pas tarder à trouver un nouveau grief dans le régime tracassier et malveillant auquel un prince protestant eut l’imprudence de vouloir soumettre l’église catholique. Enfin l’accueil trop favorable fait aux réfugiés français, et qui ne pouvait guère s’expliquer que par des arrière-pensées assez peu loyales, avait dû nécessairement propager dans le pays les germes révolutionnaires que ces réfugiés portaient avec eux. L’intervention des grandes puissances avait, comme nous l’avons vu, mis fin à ce désordre,