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pour toute forme extérieure du culte, dès que l’imagination peut, en la divinisant, retourner en apparence à l’idolâtrie.

C’est ainsi que la doctrine nouvelle, attaquant tantôt l’autorité de l’église à cause de son enseignement, tantôt son enseignement à cause de son autorité, renfermait, dans le principe de la soumission la plus étroite à la parole de Dieu, le principe des droits de la loi individuelle, et même de la délivrance générale de l’esprit humain ; car elle se produisait en présence d’un clergé qui, souvent plus amoureux de la puissance que de la vérité, avait fini dans certaines contrées par sacrifier l’esprit au corps, la réalité à l’apparence, et qui, par routine ou irréflexion, cessait de s’inquiéter de l’état des âmes, pourvu que les pratiques fussent observées, et son empire reconnu. Il lui était arrivé, comme à tous les pouvoirs qui durent longtemps, de négliger ses devoirs pour ses droits. Dans son sein, la règle s’était affaiblie, la discipline s’était énervée ; tout avait baissé, excepté la passion du commandement. Les études bibliques, que la tradition rendait superflues, étaient négligées. L’Écriture tombait en oubli. La connaissance des langues, la critique, l’histoire, tout ce qui est nécessaire à la théologie formée sur la parole sainte avait peu à peu disparu devant la seule science qui dominât dans les écoles. La théologie scolastique, façonnant à la fois l’aristotélisme pour le christianisme, ou le christianisme pour l’aristotélisme, transformait la religion en une science de formule qui exerçait encore l’esprit, mais touchait à peine le cœur. Les scolastiques, et surtout celui que l’église regardait comme le plus grand, saint Thomas d’Aquin, ayant encadré toutes les traditions orthodoxes dans les formes de l’argumentation syllogistique, la nouvelle foi se posait en ennemie du syllogisme, de la scolastique, de saint Thomas et d’Aristote. Ramenée à l’interprétation libre et spontanée du texte sacré, elle l’était à l’étude des langues, surtout du grec et de l’hébreu, à l’étude de l’histoire et de la critique, sans lesquelles eût été impossible son travail de contrôle sur la tradition. Elle en venait ainsi peu à peu à faire alliance avec l’esprit nouveau que signalait la renaissance des lettres. Comme les écrivains du siècle.avaient fait la guerre aux moines, comme les doctes interprètes de l’antiquité retrouvée une seconde fois commençaient à prendre en mépris la science des écoles, il devait advenir que le protestantisme, si peu rationaliste dans ses principes, s’appuierait sur la littérature et sur la philosophie profanes pour saper l’édifice de l’église romaine, et favoriserait ainsi dans une certaine mesure la liberté illimitée de penser.

En même temps, dans sa lutte contre le pouvoir ecclésiastique, le protestantisme combattait à côté du pouvoir temporel. Les gouvernemens et les réformateurs avaient le même adversaire. Les prétentions