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et son tempérament luttent avec son génie. Longtemps agité et combattu, il ne parvint que par la force de la réflexion à se mettre en paix avec lui-même, et lorsqu’il se sentit l’âme en repos, sa sécurité dans sa foi le rendit indifférent aux ménagemens et aux réserves par lesquels de moins forts veillent à la décence de leur attitude et à la majesté de leur pensée. Animé et dominé par un enthousiasme intime, qui sanctifiait jusqu’à ses colères, il brava tout, dédaigna tout, maîtrisa tout ; son impétuosité eut de la persévérance, sa passion vit clair dans les choses, sa confiance absolue dans la vérité s’unit avec l’habileté et la prudence. Il fut même un grand politique en détestant la politique, et se conduisit, comme un homme d’état en croyant laisser faire le Saint-Esprit.

On sait qu’il était d’une pauvre famille. Son père était un bûcheron d’Eisleben en Saxe, et qui devint mineur dans les forges de Mansfeld. Élevé religieusement et durement, Luther passa par diverses écoles, où il étudiait en mendiant son pain. Enfin à dix-huit ans il entra à l’université d’Erfurt. Ni les sciences scolastiques ne satisfaisaient son esprit, ni la dévotion du temps ne contentait son cœur. On le destinait à la jurisprudence, mais il trouva une Bible qui l’émut profondément. Une maladie grave et la mort d’un jeune ami le tournèrent vers la vie monastique. Par là seulement il espéra calmer l’inquiétude de son âme ; il entra au couvent des ermites de Saint-Augustin d’Erfurt, et connut tous les tourmens, toutes les austérités du cloître. Mécontent de lui-même, troublé, repentant, il éprouvait cette anxiété que doit avoir traversée tout chrétien avant de trouver la paix, et il cherchait vainement sa régénération dans les rigueurs ascétiques destinées à éteindre le feu des passions. Il se croyait perdu devant Dieu et ne savait où reposer sa tête. C’est le vicaire-général des Augustins, Jean Staupitz, qui le premier lui dit de renoncer à d’impuissantes macérations et de se jeter dans les bras de Jésus-Christ. Jusque-là il ne connaissait Dieu que par la crainte. Il apprit à l’aimer en méditant le bienfait de la rédemption. Dans une maladie dangereuse, cette simple parole du Credo : Je crois la rémission des péchés, lui parut d’une telle douceur, qu’il connut par expérience cette puissance rassurante de la foi dont il a fait un dogme spécial. C’est pour l’avoir ainsi éprouvée qu’il devait un jour aller jusqu’à prétendre que pour être délivré, il suffisait au chrétien de croire que le péché lui était remis en Jésus-Christ.

C’est dans ces dispositions d’esprit qu’il fut nommé professeur à l’université de Wittemberg. Il y commença ses leçons de théologie par l’explication de l’épître aux Romains, c’est-à-dire de l’ouvrage où saint Paul expose de la manière la plus forte la doctrine de la foi justifiante. Appelé ensuite à la prédication, il fit de cette doctrine