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Une seule chose nous frappe, c’est la lenteur systématique avec laquelle tous les partis conduisirent cette grande contestation. La crainte d’une rupture, et après la rupture, d’une guerre de religion, semblait peser sur toutes les âmes. Je trouve que cette obstination patiente à maintenir autant que possible la querelle dans la sphère spirituelle fait grand honneur à la consciencieuse Allemagne. À Worms, devant une assemblée de rois, Luther se fit écouter. Tantôt ménagé, tantôt menacé, il partit sans qu’on essayât rien contre sa personne ; il était en sûreté, quand l’empereur rendit un édit contre lui, sans se montrer d’ailleurs fort empressé de le faire exécuter. Luther avait été mystérieusement enlevé en traversant les forêts de la Thuringe et transporté dans le château de Wartbourg, où il resta neuf mois retenu, ou plutôt caché sous le nom du chevalier George. Dans cette prison, que la protection de l’électeur de Saxe lui ouvrait comme un asile, il conserva la liberté d’écrire, et ne cessa pas de diriger le mouvement du dehors par ses lettres et ses livres, ses exhortations et ses commandemens.

Quand il reparut, quand, malgré les supplications de l’électeur et quoique mis au ban de l’empire, il quitta sa retraite, appelé par le désordre qui éclatait de toutes parts, il n’éleva la voix que pour rétablir la paix, car il n’aurait voulu qu’une agitation spirituelle. Ses ennemis n’osèrent rien de sérieux contre lui, et il s’opposa longtemps à tout emploi de la force dans l’intérêt de sa cause. Ennemi de la sédition et de la violence, il osa se retourner contre l’extrême gauche de son parti ; il condamna les excès des anabaptistes avec sa vigueur ordinaire. Intolérant même pour les doctrines des sacramentaires, qui réduisaient les paroles de la Cène au sens figuré, tant il était loin de pousser au rationalisme philosophique, il refusa de s’associer aux efforts des réformateurs helvétiques, recommandables tout au moins par leur sincérité et leur courage. Il montra cette force rare de savoir s’arrêter dans une révolution sans reculer d’un pas. Charles-Quint, absent d’Allemagne, commençait à s’indigner que l’édit de Worms ne fût pas exécuté. Il envoya aux deux diètes qui se réunirent à Spire l’ordre de le mettre en vigueur. La première temporisa, la seconde obéit ; mais cinq princes et quatorze villes protestèrent contre la décision de la majorité. Le protestantisme fut déclaré, l’Allemagne divisée en deux camps. De là les deux Allemagnes que nous voyons encore. Cette division ne fut pas d’abord la guerre, mais un antagonisme d’où résulta pour un temps une certaine liberté religieuse. Une lutte de négociations remplaça le conflit des doctrines. La diète d’Augsbourg fut un congrès de pacification. La fameuse confession écrite par Mélanchton n’était qu’une tentative d’accommodement. Peu s’en fallut qu’on ne la vit acceptée par les représentans