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V

Quelque admiration littéraire crue mérite en effet l’Histoire des Variations, on se prend à douter que le sublime écrivain se fût pleinement rendu raison du génie du protestantisme. Bossuet pense réduire la réforme au silence en lui prouvant qu’elle a varié. L’argument peut avoir sa force contre les prétentions de certains théologiens ou contre de certaines confessions de foi présentées comme l’expression complète et parfaite de la vérité, non comme l’acte d’adhésion commune d’une société de fidèles aux principes de leur croyance ; mais que prouve-t-on contre une hérésie quand on lui dit qu’elle a varié, comparée à l’église de Rome ? Si celle-ci se trompe, comme le veulent les hérétiques, que leur importe son inflexibilité ? Autant qu’on n’a pas démontré l’infaillibilité de l’église, la divinité de son institution actuelle, la présence non interrompue de l’esprit de Dieu dans son sein, sa perpétuité, contestable ou non, n’est qu’un fait historique, et les protestans, qui la contestent, pourraient l’admettre impunément. Voici pourquoi.

On dit, et avec raison : La vérité est perpétuelle, universelle, invariable, et l’on en conclut que tout ce qui n’est pas tel n’est pus la vérité. Soit, mais la vérité n’est qu’en Dieu, elle est Dieu même. C’est pour cela qu’on dit encore : La vérité est éternelle. — Sur la terre, parmi les hommes, ce qu’on appelle la vérité, c’est la connaissance de la vérité. Or peut-on dire que la connaissance de la vérité soit perpétuelle, universelle, invariable ? Non, assurément. On pourra le dire quand l’homme sera devenu infaillible. La connaissance de la vérité est, suivant les temps, les lieux et même les individus, plus ou moins parfaite, plus ou moins conforme à la vérité elle-même. La variation n’est donc pas le signe certain de l’erreur, elle n’est que le signe de l’imperfection de la nature humaine. Voilà ce dont tout le monde convient, au moins quand il ne s’agit pas de religion.

Cependant la religion elle-même est comme la vérité : elle est en soi, dans son objet, la vérité religieuse ou Dieu même ; elle est dans l’homme la connaissance religieuse, la connaissance de la vérité divine, une certaine connaissance de Dieu. Or dire que cette connaissance dans l’homme est parfaite, qu’elle est égale à son objet, qui l’oserait ? Comme connaissance humaine et imparfaite, la religion n’est donc pas rigoureusement invariable. Elle participe à la nature de l’être qui la conçoit dans son intelligence et qui la porte dans son cœur. Rien d’étrange alors qu’elle soit atteinte par les révolutions de l’esprit humain, qu’elle ait ses lumières et ses ombres, ses vicissitudes et ses progrès.