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et celle de Saint-Nicolas ; puis la moitié seulement de cette maison-ci, remarquez-le bien, ce qui est déjà assez embêtant pour l’entretien de la toiture. Par exemple, la cave est toute à moi, avec cette petite cour sombre qui donne là, sur la place de Saint-Maurice. Puis voici la chambre de notre Fifine. L’avez-vous déjà vue, la chambre de notre Fifine ? Tenez, entrez donc, Jeanne-Antoine.

La Jeanne-Antoine essuie d’abord ses pieds sur le plancher comme on le ferait sur un paillasson, et entre avec un air d’étonnement respectueux, les deux bras croisés l’un sur l’autre à la hauteur de la ceinture. — Jeu ! mais c’est un petit paradis ici, Josillon. Comme ce plancher est bien lavé ! puis voilà une commode, des chaises de paille, un joli miroir, un beau lit blanc ! C’est du calicot, les rideaux, n’est-ce pas, mam’zelle Fifine ? Oh bien ! Dieu merci, il en a fallu des aunes ! Avec un beau buffet de noyer, une jolie petite table, et puis tous les murs avec du joli papier qu’il y a des bouquets dessus, et des oiseaux encore ! Ainsi donc c’est là que vous couchez, mam’zelle Fifine ? Oh bien ! vous n’êtes pas à plaindre ; mais, après tout, vous le méritez bien.

— Pardié ! je crois bien, une princesse comme elle ! Qu’est-ce qui aura de beaux chevaux, si ce n’est le roi ? Pour moi, Jeanne-Antoine, je couche là, à la cuisine. J’aime les marmites, C’est un goût comme un autre.

— Mais voilà les deux heures qui sonnent.

— Rien ne vous presse. Jeanne-Antoine. Attendez-moi là. Je vais d’abord chercher mon manche, puis je reviendrai vous prendre pour aller à ma vigne de Saint-Nicolas.

— Allons, soit ! mais ne restez guère.


II

Josillon sort. La Jeanne-Antoine vient s’asseoir auprès de la Fifine, qui, sa vaisselle une fois lavée, s’est remise à sa couture.

— C’est du fin que vous cousez là, dites donc ! Ouais ! quels petits points ; çà me tire les yeux. Ce n’est pas pour des paysans des chemises comme ça ?

— Non, Jeanne-Antoine, c’est pour le docteur Girod.

— Comme ça, vous n’allez donc plus travailler en journée ? Chez nous, toutes les huileuses y vont cependant.

— Oh bien ! moi, je n’y vais plus. J’en ai assez comme ça, d’y être allée pendant mon apprentissage. Ce n’est pas bien amusant, allez, Jeanne-Antoine, de courir comme ça chez les gens, quand on ne veut pas colporter d’une maison à l’autre tous les cancans de la ville. Une ouvrière, c’est comme une servante ; on ne se gêne pas de montrer devant elle, toutes ses misères cachées, et je vous assure que pendant mon apprentissage j’en ai vu de rudes. Aussi je reste chez moi ; je ne vais plus chez personne. J’ai quelques bonnes pratiques qui me restent fidèles parce que je les soigne de mon mieux. Je gagne ainsi mes trois ou quatre cents francs par an ; mon père en gagne aillant avec sa vigne, quand les récoltes vont un peu. Avec cela, nous vivons tous les deux libres comme l’air et gais comme des pinsons…

— Ah ! ah ! voyez-vous ! Mais alors pourquoi ne vous mariez-vous pas, mam’zelle Fifine ?