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— Ta vieille mère. Pardié ! elle n’est pas plus vieille que moi ; ainsi il me semble que tu n’as déjà pas tant à dire… mais il ne s’agit pas de cela maintenant ; soigne ta femme, je soignerai la mienne. Seulement, à présent que voilà les affaires emmanchées, voyons un peu ton idée ? Tire-moi cela au clair, car je t’avoue que je n’y ai pas encore compris grand’chose.

— Eh bien donc, enfin, père, c’était pour vous dire, je suppose, voilà que j’ai l’adjudication du balayage : eh bien ! ça me fait de huit à neuf cents francs de gagnés par an, le revenu d’une ferme. Pour ça j’aurai à aller ramasser deux ou trois fois par semaine, le long des rues, les tas que les gens sont obligés de balayer eux-mêmes, devant chez eux. Pour faire ce commerce-là, qu’est-ce qu’il me faut ? Mes deux bœufs, ma voiture, une pelle et un balai…

— Ah ça ! mais tu ne pourras pas faire cela tout seul ?… Il te faut quelqu’un pour garder les bœufs. Je suis là, moi.

— Eh bien ! père, topez là, je ne demande pas mieux. Pour lors, vous comprenez, je cherche un petit coin par-là, au faubourg, où j’entasse toutes mes marchandise ? pendant l’année ; puis, en automne, avant la neige, j’emmène tout cela là-haut, sur nos champs qui donneront ensuite de l’herbe tant qu’à la brousse (en quantité).

— Oui, mais comment est-ce que tu emmèneras tout cela là-haut ? Est-ce par la malle-poste ou par le télégraphe ?

— Père, quand je vous ai dit que j’avais mon idée. Pour cela, n’ayez pas peur.

— Enfin soit. Mais tes bœufs, qu’est-ce que tu vas en faire par ici ? Comptes - tu les faire coucher sous ton lit ?

— Pour les bœufs, voyez-vous, père, j’ai pensé à votre petite cour qui donne sur la place de Saint-Maurice et qui ne vous sert à rien comme cela. Parbleu, ce sera bientôt fait d’y faire une écurie, que je me suis dit.

— Mais elle est à peine large comme un confessionnal, cette cour. Tu seras obligé d’y mettre tes deux bœufs l’un sur l’autre.

— Oh ! que non. Je suis sûr qu’elle a plus de trois mètres de large.

— Oh ! quant à ça, je ne dis pas.

— Eh bien ! alors, vous voyez donc bien. Ainsi donc, père, voilà notre budget tout clair. Je gagne huit à neuf cents francs avec le balayage ; vous, vous en gagnez quatre cents avec vos vignes ; nos champs de là-haut nous donnent un peu de blé et presque assez de foin pour nourrir les bœufs. La Fifine continue à gagner ses trois ou quatre cents francs avec son aiguille…

— Oui, mais si la Jeanne-Antoine n’était pas là pour la remplacer dans les soins du ménage, où est-ce qu’elle les prendrait, ces trois ou quatre cents francs, avec son aiguille ? Et s’il arrive un enfant ? Ha ! ha ! tu vois bien que la Jeanne-Antoine ne sera pas de trop. Elle avait, ma foi, bien raison de dire que tu n’entends rien au ménage.

— Enfin, père, ça n’empêche. Mes huit cents francs, vos quatre cents francs et les quatre cents francs de la Fifine, savez-vous combien ça fait ?

— Pardié, huit et quatre font douze, douze et quatre font seize ; ça fait seize cents francs.

— Oui, seize cents francs, sans compter le loyer de notre petit logement