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du vieux Schlabrendorf, que j’aime le jeune et chevaleresque Bollmann ! Sans autre motif que l’enthousiasme de la bonté, comme dit si bien Mme de Staël, un généreux Hanovrien avait sauvé M. de Narbonne au lendemain du 10 août, et l’avait conduit à Londres à l’aide d’un faux passe-port : c’était le docteur Bollmann. Ce Narbonne, qu’une plume prestigieuse a pris plaisir à transfigurer, avait accepté le dévouement du jeune docteur avec son spirituel égoïsme et sa grâce impertinente ; qu’importe à Bollmann ? D’un seul mot Mme de Staël l’a bien dépeint, et cette bonté enthousiaste n’est pas de celles qu’un ingrat décourage. Deux ans après, Lafayette est en prison à Ollmütz, et Bollmann jure de le délivrer. Il va à Vienne et de là à Ollmütz ; il étudie les lieux, il prépare son coup de main avec l’ardeur et la précision d’un conspirateur exercé. Un seul auxiliaire se joint à lui ; c’est un jeune Américain, nommé Huger, qui est heureux d’acquitter la dette de sa patrie en sauvant le compagnon d’armes de Washington. À force d’adresse et de ruse, Huger et Bollmann correspondent avec le prisonnier ; ils savent les jours, les heures, le lieu où Lafayette sort en voiture sous la conduite d’un gardien et de deux soldats. On est au 8 novembre 1794. Accourir à cheval, arrêter la voiture, s’emparer du gardien, mettre les soldats en fuite, tout cela est l’affaire d’un instant. Cependant le tumulte a effarouché les chevaux ; il n’en reste plus qu’un, l’autre s’est enfui à travers champs, tandis que la voiture est partie au galop vers la ville. Le temps presse, il faut que Lafayette monte à cheval sans attendre l’ami qui devait guider sa fuite. On lui laisse quelques indications rapides, une bourse bien garnie ; il n’a qu’à rester une demi-heure dans un lieu prochain et sûr qu’on lui désigne, c’est là que Bollmann le rejoindra. Il ne le rejoignit que dans la prison. Trompé par un renseignement inexact, Lafayette est pris, reconnu, ramené à Ollmütz, et Bollmann, enfermé à son tour, est livré le lendemain à des geôliers irrités. Vainement l’Allemagne entière demandait-elle la grâce du généreux jeune homme, il resta près d’un an dans le plus sombre des cachots. Ce n’est là qu’une page de la vie de Bollmann, vie héroïque, chevaleresque, pleine d’épisodes charmans, et qui se termine avec une gravité républicaine lorsque le libérateur de Narbonne et de Lafayette, accueilli à bras ouverts en Amérique, devient un utile citoyen de Philadelphie.

Les souvenirs et les curiosités littéraires tiennent aussi leur place dans ces intéressans mémoires. On a vu quelle sympathie sérieuse attachait Goethe à l’auteur des Monumens biographiques ; M. Varnha-gen a donné sur Werther, sur Wilhelm Meister, sur la traduction du Neveu de Rameau, sur la Fille naturelle, sur les héroïnes romanesques du poète, une série d’études très fines. La littérature slave l’attirait ;