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gouvernement belge exploitait habilement vis-à-vis du cabinet français l’épouvantait d’une union conclue avec le Zollverein. Une circonstance imprévue vint fort à propos au secours de notre politique.

Par l’ordonnance du 26 juin 1842, le gouvernement français éleva dans une proportion très sensible les droits d’entrée sur les fils et les tissus de lin et de chanvre. Cette mesure était universellement réclamée par notre industrie. Les importations étrangères offraient, depuis plusieurs années, un accroissement très considérable ; de 5 millions de kilogrammes en 1830, elles s’étaient successivement élevées à 15 millions de kilogrammes. L’ordonnance du 20 juin était particulièrement dirigée contre la Grande-Bretagne, où le travail du lin, favorisé par les merveilleux progrès de la mécanique, avait pris un développement extraordinaire ; mais elle frappait du même coup les importations de la Belgique, qui, sans égaler celles de l’Angleterre, concouraient à notre approvisionnement. Elle devait surtout exercer une influence désastreuse sur la situation des Flandres, car ces provinces, autrefois si prospères, étaient presque ruinées par la concurrence récente du tissage mécanique, et la fermeture de notre marché allait plonger leur population dans la plus affreuse détresse. Effrayé, le cabinet belge se rapprocha immédiatement de la France. Il sollicita le maintien de l’ancien tarif pour les fils et les tissus de la Belgique, et il offrit en échange certaines faveurs de douane ou d’accise pour les vins, les soieries et les sels importés de France. De plus, il s’engagea à établir sur les fils et tissus de lin introduits par ses autres frontières un tarif analogue à celui que la France appliquait exceptionnellement aux produits liniers de la Belgique. Tel fut l’objet de la convention du 16 juillet 1842.

Cette convention, signée d’urgence et en face d’un péril pressant, fut critiquée par les industriels des deux pays. En France, les filateurs du département du Nord se plaignirent très amèrement des faveurs concédées à la Belgique. Quant aux Belges, ils faisaient observer que la France, en élevant, par l’ordonnance du 26 juin, le tarif des produits liniers, s’était donné les premiers torys, et que le dégrèvement prononcé par le traité était purement et simplement le retour à un régime dont la Belgique était depuis longtemps en possession ; ils déploraient donc les concessions que l’on venait de nous accorder pour n’obtenir que le maintien d’un ancien tarif ; enfin ils prétendaient que l’obligation d’imposer aux fils anglais un tarif égal à celui que les fils belges rencontraient à la frontière française serait très onéreuse pour les tisserands des Flandres, qui allaient payer plus cher leur matière première. Ces critiques, émanées de l’égoïsme industriel, n’avaient aucune portée. En effet, l’industrie du lin s’était établie assez solidement en France pour n’avoir point à redouter la lutte avec les Flandres ; il lui suffisait d’être protégée contre la concurrence anglaise, la seule qui fût de nature à lui inspirer de légitimes inquiétudes. Pour la Belgique, il était certain que la convention de 1842 lui rendait un immense service en conservant à l’une de ses principales industries un marché qui lui était plus que jamais indispensable, et le cabinet de Bruxelles devait tenir compte des embarras diplomatiques que se préparait le gouvernement français en lui accordant le bénéfice d’un tarif différentiel le lendemain du jour où il avait surtaxé très follement les fils et tissus importés