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si limités qu’ils fussent, devait clore les négociations ; dans la pensée du gouvernement français, elle n’était au contraire qu’un acheminement vers une entente générale. Cette dissidence d’appréciation s’explique par la situation différente que créait à la France et à la Belgique l’application réciproque du droit commun en matière de tarifs En effet, les produits français, ayant à supporter en Belgique les droits du tarif général, allaient être moins favorablement traités que les marchandises allemandes ; au contraire les principaux produits de l’importation belge en France, les fontes et les houilles, demeuraient, comme par le passé,en possession de droits différentiels qui leur facilitaient l’entrée sur notre marché, évidemment les conditions n’étaient pas égales, et l’équilibre se trouvait complètement rompu au préjudice de la France.

Aussi, dès le 9 septembre, M. le ministre des affaires étrangères invitait M. Firmin Rogier, ministre du roi des Belges à Paris, à lui faire connaître « si le cabinet de Bruxelles était disposé à replacer immédiatement les rapports commerciaux des deux pays sous le régime du traité de 1845, sauf à discuter ultérieurement les mesures destinées à améliorer ou à étendre les clauses douanières renfermées dans ce même traité. » M. Drouyn de Lhuys ajoutait que, si cette ouverture était repoussée, il se verrait forcé de modifier, à l’égard des houilles et des fontes belges, le système de taxes établi dans la zone de notre frontière du nord. Cette mise en demeure, qui ne tarda pas à être suivie d’effet (décret du 14 septembre), fut le point de départ d’une correspondance très aigre entre M. le ministre des affaires étrangères et M. Firmin Rogier[1]. Le gouvernement belge affecta de s’en montrer fort surpris. La modification du système des zones devait être évidemment considérée comme un acte hostile ; or la Belgique pouvait-elle s’attendre à cette déclaration de guerre après la signature des conventions du 22 août, qui avaient consacré la paix ? Aurait-elle accédé à la suppression de la contrefaçon, si elle avait pensé un seul instant que le lendemain même elle serait frappée dans ses intérêts les plus essentiels’ ? Enfin le gouvernement français avait eu le choix entre diverses combinaisons, dont l’une impliquait la prorogation provisoire de la convention de 1845 jusqu’à la conclusion d’un traité définitif, sous la condition que, pendant le délai, le droit de 15 centimes serait maintenu en faveur des houilles belges : pourquoi, étant libre d’accepter cette combinaison, l’avait-il rejetée pour adopter la combinaison plus restreinte qui ne comprenait que les bases des traités conclus le 22 août ? — Tels étaient en résumé les argumens de la Belgique, et l’on doit reconnaître qu’à première vue ils semblaient assez plausibles, car d’ordinaire on ne signe pas un traité de paix la veille d’une bataille ; mais la situation n’était pas aussi nette que l’indiquait l’exposé, fort habile d’ailleurs, de M. Firmin Rogier.

Le principal ministre du cabinet belge ayant à plusieurs reprises exprimé sa répugnance contre les traités de commerce et son peu de confiance dans le succès de nouvelles négociations, il était naturel que le gouvernement français ne s’exposât pas à un échec, et qu’il se contentât de la seule combinaison

  1. Voyez cette correspondance dans l’Annuaire des Deux Mondes pour 1852-53, p. 898 et suiv.