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N’a-t-on pas vu d’ailleurs, à travers les crises qui ont marqué les vingt dernières années, la neutralité belge prendre tour à tour à l’égard de la France les formes les plus diverses ? Tantôt c’était une alliance intime et presque exclusive, tantôt une altitude réciproque de mécontentement et de malaise, parfois même un dissentiment profond qui se traduisait par des récriminations amères, dont les correspondances diplomatiques ont conservé la trace, récente encore. On se souvient des embarras sérieux qui ont troublé les rapports officiels des deux pays à la suite de la révolution de février et le lendemain du 2 décembre. On sait quelle a été l’impression produite en France par le rapprochement inattendu qui s’est opéré entre la cour de Bruxelles et la cour de Saint-Pétersbourg, ainsi que par le mariage du duc de Brabant avec une princesse d’Autriche. Par ces actes, la Belgique, obéissant au sentiment de son propre intérêt, ne transgressait, à vrai dire, aucune des obligations que lui impose sa neutralité ; cependant, par cela seul qu’elle cherchait et trouvait en dehors de nous des alliances nouvelles, on s’est vivement ému en France, et les esprits inquiets ont entrevu comme un danger presque imminent le réveil d’une coalition européenne. En un mot, l’histoire des dernières années démontre de la façon la plus évidente que, si l’existence de la Belgique est nécessaire à la paix de l’Europe, l’alliance de la France avec la Belgique importe à notre sécurité.

Le traité du 27 février 1854 est donc surtout un acte politique : il resserre les liens, un moment relâchés, qui doivent unir la Belgique et la France, et il donne à cette réconciliation la forme authentique et solennelle que les circonstances réclament. Sans aucun doute, le cabinet de Bruxelles ne se départira pas des efforts qu’il a déjà tentés pour renouer avec le Zollverein ses négociations commerciales. La neutralité, qui forme la base de sa politique extérieure, lui commande d’entretenir sur toutes ses frontières, à l’est comme au sud, de bienveillantes relations. L’intérêt commercial de la Belgique se prête d’ailleurs aux combinaisons libérales qui peuvent favoriser le transit des produits allemands destinés à l’exportation transatlantique, et son intérêt industriel l’invite à solliciter de la Prusse certaines concessions de tarif sur les produits manufacturés, principalement sur le fer. Il ne faudrait donc pas s’étonner que la Belgique, après avoir traité avec la France, en vînt également à traiter avec la Prusse. Quoi qu’il en soit, notre pays a pour le moment atteint le résultat auquel il était en droit de prétendre : il a obtenu, ce qui est le point le plus essentiel, que la neutralité, récemment défiante et peu sympathique de la nation belge, reprit à notre égard le caractère de neutralité amie ; nous venons de relever le rempart que notre diplomatie avait si laborieusement édifié sous le dernier règne, et que les révolutions avaient ébranlé.


C. LAVOLLEE.