Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessa avec l’apparition de la lune. Elle en comprit toute l’immensité, et c’est alors qu’elle jeta aussi un cri d’effroi, seul témoignage de faiblesse que lui arracha le spectacle offert tout à coup à ses yeux. Faisant un appel soudain à toutes ses forces viriles, elle se sentit revêtue d’une cuirasse de placidité qui rendait à sa pensée toute sa liberté d’action, qui mettait son âme à l’abri de tout désespoir stérile. Comprendre le péril, c’est déjà l’amoindrir, et le sang-froid est le meilleur instrument de délivrance; il double les chances de salut, de même que la terreur double les chances de perte. D’un prompt coup d’œil Hélène avait vu toute l’imminence du danger auquel était exposé Antoine, et le cri qu’elle avait poussé avait rappelé celui-ci à la vie en l’enlevant à cette paralysie d’intelligence, à cette mort anticipée que produit le vertige. Immobile et calme, Hélène commença par appuyer fortement les deux pieds sur la souche où se réunissaient les racines des broussailles auxquelles se retenait son compagnon. Si léger qu’il fût, ce secours prolongeait pour quelques secondes le douteux équilibre d’Antoine; mais elle comprit bientôt avec effroi que le poids de son corps devenait insuffisant pour maintenir plus longtemps en terre la souche de racines. Elle sentit le froid gagner son cœur. Légèrement détendues par un mouvement que venait de faire Antoine, les ronces rampaient comme des cordes lâches, bien que la main du jeune homme ne les eût point abandonnées. Hélène se pencha en avant autant qu’elle put le faire sans remuer les pieds; elle aperçut Antoine, qui cherchait vainement à l’apercevoir. — Priez Dieu ! lui cria-t-elle. Presque aussitôt elle jeta un cri de joie. À cette prière qu’elle venait de conseiller, la Providence avait répondu comme l’écho répond au son : un rayon de la lune venait de lui montrer, à demi caché dans l’herbe épaisse, un anneau de fer scellé à un fragment de roc enterré dans le sol; un bout de câble, pourri par l’humidité, était attaché à cet anneau, placé là sans doute pour faciliter l’ascension des marchandises de contrebande, et qui avait échappé aux recherches des douaniers. Le restant de câble n’était malheureusement pas d’une longueur suffisante pour être jeté à Antoine; mais Hélène fit la réflexion qu’elle pourrait l’allonger en y ajoutant le petit châle qu’elle avait sur les épaules.

— Pouvez-vous sans danger lâcher les ronces ? demanda-t-elle vivement à Antoine. Il faudrait que je pusse cesser de les retenir pendant une minute au moins.

— Attendez, dit Antoine, faisant un effort pour enfoncer plus profondément son genou dans le trou, qui devenait, en abandonnant les ronces, son seul centre d’équilibre. — Une minute! répondit-il après s’être assuré qu’il pouvait accorder ce temps sans risquer de glisser de nouveau sur l’extrême pente. Hélène bondit vers l’anneau,