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religieuse, comme quelques-unes de ses cadettes, elle fut réduite à chercher un asile d’abord chez la comtesse de Soissons, puis chez Mme de Rohan, enfin chez Mme « de Longueville. Tallemant dit qu’elle avait du mérite, qu’elle savait le latin, qu’elle écrivait fort raisonnablement, et lui qui recueille avec tant de complaisance tous les bruits propres à grossir sa chronique scandaleuse, il ne prête à Mlle de Vertus aucune aventure, malgré la liberté qui lui avait été laissée et les exemples dont elle était environnée dans sa famille et dans un monde où la galanterie était à la mode. Nous ne savons pas à quelle époque précise elle entra chez Mme de Longueville. Nous les trouvons réunies à la fin de la fronde, dans l’automne de 1653, quand la princesse, en quittant Bordeaux, s’était rendue à Montreuil-Bellay, en Anjou, pour y attendre les ordres de son mari et de la cour[1]. Mademoiselle, qui commence en ce temps-là seulement à parler de Mlle de Vertus, nous la montre[2] « ayant beaucoup d’attachement pour Mme de Longueville et la servant en tout ce qu’elle pouvoit pour son raccommodement avec son mari. » Elle était avec elle à Moulins dans le couvent des filles de Sainte-Marie, où, frappée sans relâche de coups inattendus et terribles, et successivement abandonnée par toutes ses espérances. Mme de Longueville prit le parti de se donner à Dieu le 2 août 1654. Parmi les personnes dont les exemples et les conseils la portèrent le plus à cette grande résolution, si on doit mettre au premier rang sa tante, Mme de Montmorency, la veuve de l’illustre décapité de Toulouse, supérieure des filles de Sainte-Marie de Moulins, il est impossible de ne pas compter aussi Mlle de Vertus, car elle était elle-même convertie depuis quelque temps, et une autorité irrécusable, le Nécrologe de Port-Royal[3], affirme qu’elle contribua à la conversion de son amie. En 1654, Mme de Longueville avait trente-cinq ans, et Mme de Vertus en avait trente-sept[4]. Il faut avouer qu’à cet âge dire adieu au monde avec tant de moyens d’y plaire encore n’était pas un médiocre sacrifice : des deux côtés il fut entier et irrévocable.

On ignore comment Mlle de Vertus devint janséniste, mais il est

  1. Voyez une lettre de Mme de Longueville du 25 octobre 1653, trouvée par nous dans les papiers de Lenet à la Bibliothèque nationale, et publiée dans la Revue, livraison du 1er ’août 1851.
  2. Mémoires, tome III, p. 24 de l’édition d’Amsterdam, 1785.
  3. Nécrologie de Port-Royal, p. 438 : « Elle prit trop de part aux intrigues et aux plaisirs qu’elle désapprouvoit... Dieu la fit enfin se ressouvenir de ses premiers sentimens : il lui montra le sentier droit qui mène à la vie, et la princesse Anne de Bourbon l’y ayant suivie, etc.; » ce qui veut bien dire que la conversion de Mlle de Vertus précéda et prépara celle de Mme de Longueville.
  4. Elle devait être née en 1617, car le Nécrologie de Port-Royal la fait mourir le 21 novembre 1692, à l’âge dit-il de soixante-quinze ans.