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vermeilles, et je me serrerai avec une ceinture de soie pour paraître plus svelte. » Une ballade de Stanko-Vraz nous montre également la jeune Bïelana qui, dès l’aurore, s’en va laver à la rivière. Le soleil levant réfléchit dans le miroir du fleuve ses formes ravissantes. On ne peut rien rêver de plus beau. « Ses deux yeux sont deux étoiles qui sortent scintillantes du sein d’un nuage, ses joues sont deux roses que le soleil vient d’entr’ouvrir, ses lèvres sont tendres comme une pomme qui commence à mûrir. Elle-même s’admire en se regardant dans le cristal des eaux, et se met à dire : — Il ne me manque plus qu’une couronne de mariée, et ma beauté serait complète. — Toute seule, elle croit n’être entendue de personne; mais du haut d’un rocher, un jeune homme qui l’admire et qui l’a entendue s’élance vers elle. Il lui présente la couronne de fiancée, et la couvre de baisers en disant : — Tu es à moi maintenant pour toujours! — Le saint carême de Pâques fini, le mariage se célèbre, et Bïelana passe heureuse de l’église chez son époux. »

Celui des trois poètes qui a transporté avec le plus de succès l’inspiration du gouslo dans la poésie écrite est Subbotitj. Il suffit pour s’en convaincre de comparer avec les chants du poète illyrien les motifs populaires recueillis par Vuk. Les Nuits d’Hiver du bien-aimé ont inspiré aux gouslars deux strophes d’un naturel parfait :


« L’ouragan nocturne souffle en bas sur la plaine, il siffle en haut contre la forteresse; mais dans la forteresse une jeune fiancée dit en souriant : Soufflez, soufflez, aquilons, durant les longues nuits d’hiver. — Quand je dormais chez mes parens, étendue sur neuf coussins bien mous, ayant sur moi neuf couvertures, alors les nuits les plus courtes m’étaient longues. Maintenant je dors auprès de mon voïno, sur un seul coussin, couverte d’une seule couverture. Les plus longues nuits me paraissent courtes. »


Subbotitj s’est évidemment souvenu de ces strophes dans son ode intitulée Momtche i Grmlïavina (l’Amant et la Tempête) :


« L’éclair déchire les nuages, la foudre laboure le ciel. Éclatez, tonnerres, brillez, éclairs flamboyans, pour éclairer le sentier qui me conduit chez ma bien-aimée ! Faites fuir les yeux mauvais pour qu’aucun médisant ne m’aperçoive, et que je puisse tranquillement la bercer dans mes bras jusqu’à l’aurore. — Le vent redouble, il arrache le chaume des cabanes, il démolit les toitures et en fait voltiger les débris dans les airs, il déracine les arbres autour de moi; mais, tranquille, je chante mon amour. Les ruisseaux s’enflent sur la route et menacent de me submerger au passage. Tout ce qui vit pousse vers le ciel un cri de détresse; mais au milieu de ce tombeau de la nature qui de toutes parts s’entr’ouvre sous mes pieds, l’astre de l’amour m’illumine et écarte loin de moi les terreurs de la mort. Je chante ce que j’aime, et la terre en ce moment m’engloutirait dans ses abîmes, je serais encore heureux, je mourrais en aimant. »