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nouvelles et superficielles d’origine française. Ces tendances enlevaient peu à peu la Turquie à l’empire exclusif qu’il prétendait exercer sur elle. Elles donnaient aux autres puissances des clés de position, non pour dominer Constantinople, mais pour la défendre contre la politique russe. En un mot, elles faisaient sortir inévitablement l’empire ottoman du cercle de fer où la Russie avait cru l’étreindre et pouvoir l’étouffer à volonté.

Ayons assez d’impartialité pour nous placer un instant au point de vue russe : nous serons obligé de reconnaître que cette situation nouvelle était critique. La laisser se prolonger et se développer librement, c’était se résigner à voir la Turquie échapper à l’action dominatrice de la Russie, et reculer en-deçà de la guerre de 1828 et du traité d’Andrinople. L’inquiétude qui obsédait l’empereur Nicolas dès 1844, et l’impatience qu’il témoignait au commencement de 1853, sont donc aisées à comprendre. La politique qui avait inspiré la guerre de 1828 et le traité d’Andrinople ne pouvait pas assister avec indifférence à un mouvement qui menaçait de lui ravir ce qu’elle croyait avoir à jamais conquis. Elle se trouvait en face de cette alternative : ou s’abdiquer elle-même, renoncer à ces desseins séculaires qui poussent instinctivement la Russie vers Constantinople, ou bien faire quelque chose. S’abdiquer eût été surhumain, donc il fallait agir. Dès lors l’empereur Nicolas dut arrêter dans sa pensée que, si la Russie trouvait une occasion d’ébranler l’empire ottoman, elle ne recommencerait plus l’expérience de la paix d’Andrinople; que le premier choc que subirait la Turquie serait le dernier, qu’il fallait aviser à expulser les Turcs de l’Europe, qu’il fallait s’y préparer en prenant des mesures avec les puissances dont, au moment opportun, la résistance serait la plus redoutable ou le concours le plus utile; qu’il fallait enfin, au premier prétexte, jouer le grand jeu. Le prétexte se présenta : ce fut l’affaire des lieux-saints, et l’empereur Nicolas proposa à l’Angleterre le partage de l’empire ottoman.

Jamais il n’est arrivé à la publicité contemporaine de révélation politique aussi grandiose que les communications relatives à la Turquie faites au gouvernement anglais par l’empereur Nicolas. Manifestation de la pensée dominante de l’empereur sur la chute imminente de la Turquie, déclaration de ce que la Russie ne tolérerait pas, insinuation de ce qu’elle voudrait dans l’éventualité prévue, indication de l’affaire des lieux-saints comme occasion immédiate et cause suffisante de l’accomplissement de cette éventualité, — la révélation est complète sur tous les points. L’idée fixe de l’empereur éclate partout, et il y insiste encore à la fin des pourparlers. Lorsque l’Angleterre, repoussant ses avances, représente la chute de l’empire ottoman comme un événement incertain et éloigné, « une de ces expressions exclut l’autre, dit l’empereur; incertain, soit, mais par cela même