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anglais, ce qui était manifestement contraire à la vérité. En effet, tandis que la Russie avait représenté la chute de la Turquie comme imminente et déclaré qu’il fallait aviser à ce qu’il y aurait à faire en vue de cet événement, l’Angleterre avait répondu qu’elle ne voyait pas de cause prochaine de dissolution pour l’empire ottoman, et que la seule chose qu’il y eût à faire, c’était de travailler à le maintenir. L’empereur Nicolas avait demandé que l’on s’entendît sinon sur ce que l’on ferait, du moins sur ce qu’on empêcherait dans le cas où ses prédictions se réaliseraient; l’Angleterre avait répondu que déterminer ce que l’on ne tolérerait pas en vue d’une éventualité, ce ne serait guère avancer la solution des difficultés qui s’élèveraient au moment même. Quant aux insinuations de partage essayées par la Russie, elles avaient été écartées par un refus, et le gouvernement anglais avait touché le nœud de la question en exprimant la conviction que l’accélération ou l’ajournement indéfini de la chute de la Turquie dépendait uniquement de la politique que la Russie suivrait vis-à-vis de la porte. Enfin l’Angleterre avait dit nettement qu’elle ne voulait pas continuer ces scabreux pourparlers. L’empereur Nicolas était donc éconduit sur tous les points. Cependant, affectant d’être d’accord avec l’Angleterre, le gouvernement russe termina, le 15 avril 1853, cette curieuse transaction, en prenant dans une note de M. de Nesselrode les engagemens suivans :


« Sous d’autres rapports, et sans vouloir discuter à cette occasion les symptômes plus ou moins apparens de la décadence de la puissance ottomane, et la vitalité plus ou moins grande que peut conserver encore sa constitution intérieure, l’empereur conviendra volontiers que le meilleur moyen de faire durer le gouvernement turc est de ne pas le fatiguer par des demandes excessives faites d’une manière humiliante pour son indépendance et pour sa dignité.

« Sa majesté est disposée, comme elle l’a toujours été, à suivre ce système, pourvu toutefois qu’il soit bien entendu que la même règle de conduite sera observée par toutes les grandes puissances sans distinction, et qu’aucune d’elles ne tirera avantage de la faiblesse de la porte pour en obtenir des concessions qui pourraient être préjudiciables aux autres. Ce principe posé, l’empereur déclare qu’il est prêt à travailler, de concert avec l’Angleterre, à prolonger l’existence de l’empire turc, en laissant de côté toute cause d’alarme au sujet de sa dissolution. »


Mais au moment où le gouvernement russe prenait cet engagement à Saint-Pétersbourg, il y avait manqué déjà, et il allait le violer avec plus d’éclat encore à Constantinople.

Les communications confidentielles de l’empereur Nicolas avec le gouvernement anglais avaient commencé le 9 janvier 1853 et fini le 15 avril; or, dès le 5 février, M. de Nesselrode avait annoncé à