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politique russe à ce sujet ont été exprimées en 1825, avec une merveilleuse force, par M. Pozzo di Borgo[1]. « Les hostilités de l’Angleterre, si elles ne sont pas soutenues par une coopération continentale, disait alors M. Pozzo di Borgo en vue de la guerre que préparait la Russie, n’empêcheront pas les progrès de nos armées, et ne nous causeront pas un mal que nous ne saurions supporter. » La Russie ne redoute pas, à plus forte raison, l’hostilité d’une puissance continentale qui n’aurait pas la coopération maritime de l’Angleterre. Son premier effort, toutes les fois qu’elle entreprend quelque chose contre la Turquie, est donc de séparer l’Angleterre de la puissance continentale qu’elle suppose la mieux préparée à s’unir à elle. En donnant de si singulières marques de confiance à l’Angleterre au commencement de 1853, l’empereur Nicolas voulait lui créer dans la question d’Orient des intérêts différens de ceux de la France. Par cette conduite, il pouvait espérer l’une de ces trois choses : d’abord, peut-être l’Angleterre entrerait-elle dans des arrangemens de partage, et alors le grand but de la politique russe était immédiatement atteint; en second lieu, peut-être l’Angleterre, tout en refusant le partage, serait-elle séduite jusqu’à un certain point par les confidences de l’empereur, et, au lieu d’aider la France dans le règlement de la question des lieux-saints, se tiendrait-elle sur une réserve plutôt favorable à la Russie; enfin peut-être l’Angleterre, ainsi éblouie, confiante et réservée, n’apercevrait-elle pas ou ne verrait-elle qu’après coup la portée des demandes du prince Menchikof. Dans ce cas, si la Russie n’emportait pas cette fois-ci le renversement de l’empire ottoman, du moins elle obtiendrait toujours avec le protectorat des Grecs une clé de position qui lui permettrait d’attendre.

Si nous ne craignions de noyer dans les détails l’attention du lecteur, nous aurions ici de curieux rapprochemens à faire entre les deux conduites, celle de l’empereur Nicolas s’épanchant, à Saint-Pétersbourg, vis-à-vis de sir Hamilton Seymour, et celle du prince Menchikof s’entourant de mystère à Constantinople et amusant les chargés d’affaires d’Angleterre et de France. Parmi les points qui paraissaient inintelligibles tant que l’on ignorait les deux négociations parallèles, il en est un pourtant sur lequel nous nous arrêterons, parce qu’il regarde la France. Pendant ces premiers mois de 1853, la France, qui ne pouvait pas se douter de ce qui se passait entre Saint-Pétersbourg et Londres, n’avait à cœur qu’une chose : finir la question des lieux-saints et enlever tout prétexte aux démonstrations militaires de la Russie. Comme nous l’avons déjà raconté, la France avait fait à Saint-Pétersbourg des ouvertures pour régler

  1. Dépêche réservée du général Pozzo di Borgo, 4-16 octobre 1825. Recueil des Documens, etc., p. 4-47.