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lieues de Jesi, petite ville de la marche d’Ancône, dans le mois de novembre 1774, Gasparo Spontini, qui appartenait à une nombreuse et pauvre famille, fut d’abord destiné à la carrière ecclésiastique. Confié aux soins d’un oncle qui était doyen de l’église Santa-Maria-del-Piano à Jesi, il répondit assez mal aux vues de ses parens, et après un épisode d’amour qui acheva de les convaincre qu’il n’avait pas de vocation pour le célibat, il fut envoyé à Naples, où il entra au conservatoire de la Pieta. On ne sait avec certitude ni en quelle année le jeune Spontini fut admis dans cette école célèbre, ni combien de temps il y est resté. Ce qui est moins douteux, c’est que pendant son séjour au conservatoire de la Pieta, il essaya sa veine à composer des scènes dramatiques que les musiciens à la mode ne dédaignaient pas d’intercaler dans leurs propres ouvrages. Le directeur d’un théâtre de Rome s’étant trouvé à Naples pendant la représentation d’un nouvel opéra de Fioravanti, où il y avait un morceau de Spontini qui avait été remarqué, l’imprésario proposa au maestrino de venir à Rome pour y écrire un opéra tout entier. A l’aide d’un faux passeport, Spontini s’échappa du conservatoire de Naples et s’en alla dans la capitale du monde chrétien, où, dans l’espace de six semaines, il improvisa I puntigli delle donne, opéra bouffe qui fut représenté le 26 décembre 1796 avec un très grand succès. La jeunesse du compositeur (il avait vingt-deux ans), son évasion du conservatoire et la protection de quelques femmes, qui ont toujours joué un grand rôle dans la vie de Spontini, contribuèrent sans doute à cet heureux début. De retour à Naples, où, grâce à son succès, on lui pardonna sa fuite clandestine, Spontini fut accueilli avec bonté par Piccinni, qui lui fit écrire sous sa direction un nouvel opéra bouffe, l’Eroismo ridicolo. Cimarosa le prit également en amitié et lui donna de bons conseils. Nous ne le suivrons pas dans ses pérégrinations à travers la péninsule, nous bornant à dire qu’après un séjour de deux années à Palerme, de 1800 à 1802, où il écrivit deux opéras bouffes, i Quadri parlanti, il Finto pittore, et un opéra sérieux, Gli Elisi delusi, une aventure romanesque avec une dame de la haute société le força de quitter précipitamment la Sicile. Arrivé à Rome, il composa il Gélose e l’Audace, dont le sujet n’était pas sans analogie avec sa récente histoire. S’étant rendu à Venise dans le courant de 1802, pour y diriger la mise en scène de plusieurs de ses ouvrages, parmi lesquels nous citerons seulement la Principessa d’Amalfi, Spontini quitta l’Italie, et vint se fixer à Paris au commencement de l’année 1803.

Il serait assez difficile d’apprécier aujourd’hui les motifs secrets qui durent déterminer Spontini à venir s’établir dans un pays dont il parlait à peine la langue. Lorsque ses illustres compatriotes Piccinni, Sacchini, Cherubini, vinrent enrichir notre première scène lyrique des fruits de leur génie, ils étaient déjà célèbres en Italie, tandis que le nom de Spontini se confondait parmi ces nombreux compositeurs qui improvisent des opéras pour la plus grande gloire d’une chanteuse à la mode, et dont l’existence ne se prolonge pas au-delà de la saison qui les a vus naître. Sans fortune, sans renommée et presque sans appui, le jeune maestro vécut d’abord assez pauvrement en donnant des leçons de chant qui eurent l’avantage de le mettre en relation avec quelques femmes influentes de la nouvelle société qui s’élevait alors sous la main du premier consul Bonaparte. Il parvint à faire représenter au