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au pouvoir ou diriger les principaux ministres, et tenir à leur solde et à leur discrétion les pachas gouverneurs des provinces. On trouve de curieuses révélations à ce sujet dans une brochure écrite à Constantinople et qui a paru à Paris en 1830[1]. L’auteur, qui se cache sous le titre de Français, et qui est un Arménien catholique, nous représente Pertew-Effendi, ministre des affaires étrangères, et le grand-visir Husny-Bey, sous le règne du sultan Mahmoud, comme les créatures de ses compatriotes de la communion dissidente.

La situation actuelle du peuple arménien découle des faits qui ont marqué les phases de son existence passée. Pour bien comprendre son histoire contemporaine, il est indispensable de remonter aux temps déjà reculés où sa nationalité commença à décliner sur une pente rapide, et, après plusieurs temps d’arrêt encore glorieux, finit par tomber, vers le milieu du XIVe siècle, sous les coups des sultans d’Egypte, pour ne plus se relever. Ses débris dispersés sur presque tous les points du globe se retrouvent maintenant agglomérés dans l’empire ottoman, la Perse, l’Inde, la Russie, l’Autriche et les contrées voisines des embouchures du Danube; mais c’est surtout à la Turquie et à la Russie que les Arméniens se sont incorporés aujourd’hui, et c’est là que les événemens qui ont armé l’une contre l’autre ces deux puissances nous convient plus particulièrement à les suivre et à les observer de près.


I.

La configuration du sol de l’Arménie, sillonné en tous sens par des chaînes de montagnes et par des cours d’eau qui forment entre chaque centre de population comme autant de barrières naturelles, nous a déjà expliqué[2] pourquoi ce pays fut, dès l’origine, morcelé en une foule de principautés plus ou moins considérables, et toutes aspirant à une complète indépendance de l’autorité royale. Ce défaut d’unité dans l’organisation politique de la monarchie arménienne, cause de fréquentes dissensions intestines, arrêta son développement et la laissa faible et sans défense contre les ennemis du dehors. Son sort fut d’être presque toujours la vassale des puissantes nations qui l’entouraient; au sud, elle eut l’empire des Assyriens et plus tard les Arabes, à l’est la Perse, à l’ouest l’empire de Byzance, au nord les montagnards du Caucase, et plus loin ces hordes féroces et belliqueuses que l’antiquité désigna sous le nom générique de Scythes. Après avoir été envahie par les armées d’Alexandre le Grand et

  1. Exposé rapide des persécutions dirigées contre les catholiques arméniens en Orient pendant les années 1827 et 1828.
  2. Voyez les Chants populaires de l’Arménie, dans la Revue du 15 avril 1852.