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Les débuts de la communauté furent laborieux et pénibles, le pain manquait quelquefois à la vie de chaque jour; mais Mekhithar avait cette force de volonté et ces espérances que donne la foi qui transporte les montagnes. Le gouvernement vénitien lui avait d’abord accordé quelques secours; les pieuses libéralités de ses compatriotes le mirent à même d’achever les bâtimens du monastère et de restaurer l’église abandonnée de l’ancienne léproserie. Les rangs de ses disciples s’augmentant chaque jour des nouvelles recrues qui arrivaient de l’Orient, il put bientôt envoyer plusieurs d’entre eux dans les colonies arméniennes de la Hongrie et de la Transylvanie, pour y remplir les fonctions pastorales et celles d’instituteurs de la jeunesse. Lorsqu’en 1749 il ferma les yeux à la lumière, il avait eu la consolation de voir son œuvre, que tant d’autres avaient jugée impossible, et dont il avait poursuivi l’accomplissement à travers des tribulations, des dangers et des fatigues sans nombre, assise désormais sur des bases solides et approuvée par Clément XI, qui lui avait conféré la dignité abbatiale[1]. Sous le successeur de Mekhithar, l’abbé Melkon (Melchior), une fraction de la communauté se détacha pour aller fonder une succursale de l’ordre à Trieste, ville où le commerce attirait une foule d’Arméniens.

En 1773, deux religieux, Dieudonné Babik et Minas Gasparents, s’y établirent dans une portion du terrain précédemment occupé par les jésuites, et que leur céda Marie-Thérèse. Voués d’abord uniquement à la direction spirituelle de leurs compatriotes qui fréquentaient ou habitaient Trieste, peu à peu leur ministère s’agrandit, et deux écoles furent ouvertes, l’une pour les notices, l’autre pour les enfans. Lorsque Joseph II entreprit la réforme des ordres religieux dans ses états, il laissa debout la maison des Arméniens. En visitant Trieste, il avait pu apprécier par lui-même l’utilité de leur institut, et non-seulement il confirma le diplôme d’installation qu’ils tenaient de Marie-Thérèse, mais il leur accorda encore le privilège d’avoir une imprimerie.

Les armées françaises, étant entrées dans l’Istrie et l’Illyrie en 1797

  1. Lorsqu’en 1810 Napoléon supprima par un décret les couvens dans le royaume d’Italie, il épargna celui des mekhitharistes de Venise. Cette exception fut provoquée par un de leurs compatriotes, qui occupait auprès de l’empereur un poste de confiance intime, le mamelouk Roustam, Arménien de naissance, dont le véritable nom était Arouthioun (Pascal). Roustam, que tous les biographes font originaire d’Érivan, était de Van. Emmené tout jeune par sa mère dans un voyage qu’elle fit à Jérusalem, il passa de là en Égypte, où plus tard Napoléon le prit à son service. Il y avait encore d’autres Arméniens parmi les mamelouks de la garde impériale, entre autres le nommé Bédros (Pierre).