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en cette occasion. Elle savait que son ennemie, la fille que M. de Longueville avait eue de son premier mariage, la duchesse de Nemours, était capable de l’accuser auprès de son fils aîné et de la noircir dans cet esprit faible et crédule. Sa conscience était pleine d’angoisses entre des périls différens. Après bien des combats, elle se décide à laisser le comte de Danois sortir des jésuites pour venir demeurer avec elle, sans le forcer de choisir encore entre l’église et l’armée. Ses lettres de ce temps nous la peignent d’abord incertaine, puis résolue, toujours redoutant l’intervention de Mme de Nemours tantôt auprès de son fils aîné, tantôt auprès de l’autre, et à cette occasion on découvre la plaie ancienne et secrète. Tandis qu’elle est si profondément tourmentée dans son intérieur, elle a encore à déplorer la mort d’une personne qui l’aimait et qu’elle aimait, une fille naturelle de M. de Longueville, dont elle avait pris le plus grand soin et qui était devenue abbesse du monastère de Maubuisson, sans parler des chagrins d’un autre genre, mais fort sérieux aussi, que lui donnait l’implacable persécution dirigée contre ses amis de Port-Royal.

Pendant toute l’année 1664, il n’y a pas un seul point en elle, une seule de ses affections, où elle ne ressente les plus douloureuses atteintes. Elle écrit sans cesse à Mme de Sablé pour lui demander de prier et de faire prier pour elle; elle réclame ses conseils, lui confie tous ses sentimens, et ainsi met sous nos yeux le plus intime de sa situation et de son cœur. Elle se plaint de M. de Fontenai, le gouverneur de ses enfans, qui, pour se relever lui-même, voulait faire un grand personnage du comte de Saint-Paul. Elle n’a pas la moindre confiance dans l’abbé d’Ailly, ecclésiastique mondain, qui flattait les deux jeunes gens pour se faire bien venir d’eux, et aspirait à devenir précepteur de l’aîné dans l’espérance de le gouverner à sa guise; mais ce qui la tourmente et la désole par-dessus tout est l’état de son fils, qu’elle reconnaît de plus en plus sans remède.


« Mon fils arriva ici hier (écrit-elle à Mme de Sablé le 20 juillet 1664). Que vous puis-je dire de ce pauvre garçon et de la situation de son esprit ? Rien n’y est fixé que la résolution de sortir de religion; mais hors cela, ce sont des desseins à perte de vue, qui me font moi-mesme devenir comme lui; car il a une si prodigieuse incapacité de prendre aucune mesure réglée, qu’on n’en peut pas prendre soi-mesme, puisqu’on ne peut le destiner à rien, voyant clair comme le jour qu’il n’exécutera aucun des plans qu’on peut faire. Cependant je l’ai pris par la douceur, car en cela la conscience et la politique vont le mesme chemin, et quand on seroit assez malheureux pour ne pas vouloir suivre les règles de la conscience, qui est de le laisser libre sur sa vocation, il faudroit le faire mesme par habileté. Mme de Nemours lui ayant mis l’esprit en un estat où il est bon de ne le pas laisser. Je lui ai donc dit