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de falaises sauvages, et ces champs du Bessin, que les chroniqueurs comparaient à une table toujours abondamment servie, s’annoncent au navigateur sous l’aspect de la désolation et de la stérilité.

La partie orientale et découverte de la côte est appuyée sur le plateau du Calvados. Porté sur la plupart des cartes comme une chaîne hérissée de roches menaçantes et de pics aigus, ce plateau, que j’ai regret à dépoétiser, n’est qu’une continuation sous-marine des bancs de pierre du terrain de l’Orne, et il ne se manifeste que sous les coups des vents du large, par le bondissement des lames sur son accore. Il a quatorze milles de long, deux de large; les bancs de Lion, de Langrune, de Ver, à peine élevés d’un mètre au-dessus des plus basses mers, en sont les affleuremens. Le Calvados lui-même est le plus occidental et le plus humble de ces rochers. S’il faut en croire la tradition, le nom que cet obscur écueil a transmis à l’un de nos plus riches départemens est celui d’un vaisseau qui, lorsque les vents dispersèrent dans la Manche la célèbre Armada de Philippe II, échoua sur sa croupe et y demeura longtemps fixé. Derrière l’écueil est un très petit mouillage qui doit sans doute au refuge qu’il offrit en 1588 à d’autres navires de l’Armada le nom de Fosse d’Espagne.

Cette côte a subi des révolutions dont les vestiges sont visibles sous les eaux et dans l’intérieur des terres. Le plateau du Calvados n’est probablement pas autre chose que la base d’un prolongement des falaises du Bessin qui a été rasé par la mer. On ne saurait guère chercher ailleurs que dans ces falaises détruites la source des atterrissemens qui ont comblé les anciens golfes de l’Orne et de la Dive. On reconnaît dans ces alluvions la silice et la marne argileuse des falaises qui sont restées debout. Ces débris ont suivi les courans qui continuent de porter à l’est les matières qu’ils détachent de la côte; ils se sont déposés dans l’ordre de leurs pesanteurs respectives, les sables siliceux dans la vallée de l’Orne, où les tranchées du canal en ont récemment mis les masses à découvert, et les marnes délayées plus loin, dans la vallée de la Dive. Quand les falaises faisaient saillie sur l’accore du plateau du Calvados, quand le flot était attiré par les rentrans des baies de l’Orne et de la Dive, les courans devaient être beaucoup plus vifs qu’aujourd’hui; leur force d’érosion a pu saper alors des falaises et en charrier les débris dans les cavités du voisinage. La mer a presque de nos jours poursuivi ce travail sur le plateau du Calvados. La forêt de Hautefeuille, disent encore les traditions locales, ombrageait au commencement du XVIe siècle la large lisière sur laquelle s’épandent aujourd’hui les marées au-dessous de Bernières et de Langrune : de nombreuses et puissantes racines s’enfoncent en effet dans les fissures des rochers mis à nu. Les commissaires du cardinal de Richelieu trouvèrent, à défaut de la forêt.