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chenaux se recreusent, et le port d’Isigny à leur suite. Il resterait à faire un autre pas. L’insuffisance de la section du pont diminue le volume des eaux que la mer montante porte au-dessus ; elle en ralentit l’évacuation, et favorise ainsi les dépôts qui réduiront à la longue la capacité du bassin. La démolition des piles épaisses du Petit-Vay et l’établissement d’une arche unique seraient donc le complément de l’application d’une pensée éminemment juste, et rien ne serait plus propre à faciliter la navigation de la Vire.

Il y a peu d’années encore, cette rivière n’était réellement praticable que jusqu’au barrage des Clés-de-Vire. En 1685, les habitans de Saint-Lô demandèrent que la navigation régulière fût prolongée jusque sous les murs de leur pittoresque cité. Vauban visita les lieux par ordre du roi, et déclara l’entreprise facile[1]. Son projet s’est perdu; mais il est probable que, fidèle à la pensée qui fut celle de toute sa vie, de développer la navigation maritime par le contact des voies territoriales, il aurait fait remonter jusqu’à Saint-Lô les navires qui s’arrêtent à Isigny et à Carentan. La guerre de 1688 fit mettre le projet de côté, et il n’a été repris que de nos jours, mais sur les proportions étroites imposées par le malencontreux établissement du pont du Vay. La clôture hermétique de la Vire sur un point où elle porterait volontiers des navires de 300 tonneaux a détruit le bénéfice de l’affluence des eaux : au lieu d’en suivre et d’en redresser le cours, il a fallu gagner par une jonction dispendieuse le lit de la Taute et le bassin de Carentan[2], et le canal de petite navigation a plus coûté peut-être que n’eût fait un canal maritime. Cette entreprise a été exécutée en vertu d’une concession du 30 avril 1833. Dès son origine, elle a été assaillie de difficultés et de mécomptes devant lesquels les auteurs s’honorent à bon droit de n’avoir pas reculé. Les travaux estimés à 460,000 fr. en ont coûté 1,533,000, et lorsqu’en 1841 la navigation s’est ouverte, il ne s’est trouvé personne, tant la circonspection normande est rétive aux choses nouvelles, qui daignât en profiter. Les concessionnaires se sont vus réduits, pour tirer parti de leur canal, à construire des bateaux, à créer du tonnage, à faire eux-mêmes le commerce; il ne leur a manqué que de cultiver, et s’ils ne l’ont pas fait, ils ont su, par la vulgarisation d’amendemens appropriés aux terrains granitiques et tertiaires, par rabaissement du prix du mètre cube de la tangue des Vays de six francs à moins de deux, par l’exploitation du beau gisement calcaire de Bahais, donner à l’agriculture une impulsion qui réagit déjà fortement sur la navigation maritime. Les quantités de tangue et de chaux

  1. Mémoire sur la généralité de Caen, par M. Foucault. Bibliot. imp. Mss.
  2. La canalisation de la Vire a 23 kilomètres de longueur, et le canal de la Vire à la Taute en a 12.