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s’approfondit et se régularise sous nos yeux le cours de la Seine maritime, des alluvions qui atteignent, dès qu’elles sont cultivables, une valeur d’au moins 4,000 francs par hectare. Autant le tracé de ces digues exige d’art et de précision, autant la construction en est simple et facile. Quand des calculs fondés sur l’observation attentive du volume et des tendances des eaux à discipliner ont déterminé la mesure et la direction du lit à leur ouvrir, des levées submersibles en pierres détachées dessinent au travers des grèves les bords du futur chenal. Les levées, étant enracinées au rivage, compriment entre elles le courant, le calme s’établit en arrière, l’érosion de la cunette et les dépôts latéraux avancent simultanément. Dans ce travail des eaux, le revêtement affouillé glisse au bas des levées, les chausse en s’affaissant, et, remplacé par des approvisionnemens disposés à cet effet, il prend de lui-même la forme de plus grande stabilité. Cependant les digues progressivement exhaussées finissent par dominer les marées ; le chenal creusé sous la compression de la veine fluide se fixe et se perfectionne pour la navigation, et les grèves remblayées livrent des terres fertiles à l’agriculture. Telle est la transformation promise à la baie entière des Vays par le futur asservissement de ses eaux troubles et vagabondes.

La justice oblige à rappeler ici que le premier auteur des projets de conquête agricole des Vays et de dessèchement des marais adjacens par l’approfondissement des chenaux de la baie est le vainqueur de Jemmapes, qui, commandant à Cherbourg de 1778 à 1789, a porté pendant ces onze années, qu’il estimait les plus heureuses de sa vie, sa vive et féconde attention sur tous les grands intérêts économiques et militaires de la contrée. Il voulait, avec une hardiesse peut-être excessive, barrer la baie, des roches de Grand-Camp à Ravenoville, par une digue percée d’un pont. « Dans l’hiver de 1787 à 1788, dit le général Dumouriez, les patriotes hollandais, après le mauvais succès de leur insurrection, vinrent en grand nombre chercher un asile en France. Comme le gouvernement qui avait causé leur ruine en était embarrassé, M. de Saint-Priest proposa d’en établir une colonie à Cherbourg, et adressa à Dumouriez une députation de ces malheureux bannis. Celui-ci réfléchit que les habitudes et le caractère des Hollandais les rendaient plus propres qu’aucune autre nation aux travaux des Grands-Vays, et il se persuada que le ministre accorderait facilement cette concession à 4 ou 5,000 hommes utiles, riches et laborieux, de La Luzerne, alors ministre de la marine, était très ardent sur les projets ; il était propriétaire de la grande terre de Beuzeville, près Isigny, et connaissait parfaitement les Vays. Dumouriez lui proposa de rassembler les Hollandais, de leur concéder les Vays, qu’ils mettraient en polders, et