Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

empêché pendant sept heures vingt-cinq vaisseaux anglais de prendre part au combat; ceux-ci formaient pour le lendemain une réserve accablante, et, si maltraité que fût l’ennemi lui-même, aucune illusion n’était permise sur l’issue d’une seconde journée. A une heure du matin, une légère brise souffla de l’est ; un coup de canon partit du Soleil-Royal, et à ce signal l’armée, coupant ses câbles, rompit sa ligne d’embossage ; chaque vaisseau suivit le pavillon de commandement le plus voisin, et cinq groupes de forces diverses partirent dans des directions différentes pour se rallier à Brest, seul refuge assez vaste pour recueillir les débris d’un si grand désastre. M. de Cabaret s’éleva avec sept vaisseaux vers la côte d’Angleterre pour se rabattre sur celle de Bretagne. Tourville emmena huit vaisseaux, le marquis de Villette douze, et le marquis d’Amfreville quinze. Ces trente-cinq vaisseaux, dont deux ne purent pas aller plus loin, mouillèrent le 30 mai, à six heures du soir, devant Cherbourg. Tourville, voyant l’ennemi manœuvrer pour lui couper la route de Brest en doublant les Casquets[1], leva l’ancre à onze heures du soir pour se jeter avec le jusant dans ce terrible Raz-Blanchard, qui règne entre la presqu’île du Cotentin et le soulèvement d’Aurigny : vingt vaisseaux le franchirent heureusement; treize autres en étaient à portée de canon quand le flot se retourna, et les efforts qu’ils firent, dans le délabrement de leurs agrès, pour y résister, furent impuissans; ils revinrent sur Cherbourg, et y laissèrent tout mutilés l’Admirable, le Triomphant et le Soleil-Royal. Tourville atteignit le 31 au soir, avec dix vaisseaux, la rade de La Hougue, où M. de Nesmond en avait laissé deux. Il était suivi par quarante vaisseaux anglais, qui en reçurent bientôt dix-sept de renfort. Les ennemis étaient cinq contre un; l’impossibilité de résister était manifeste : on débarqua les équipages, les agrès, les munitions; six des vaisseaux furent échoués au sud de l’îlet de Tatihou, et les six autres en arrière de La Hougue. Tourville fit plus : il voulut donner à ces ruines glorieuses les honneurs d’une défense désespérée; mais il ne se trouva que quelques barques de pêche et douze chaloupes en état d’être armées. Villette, le brave Coëtlogon, Tourville lui-même, jouant sa vie pour une cause perdue, et ce fut la seule faute qu’il commit dans ces néfastes journées, montèrent ces embarcations et se battirent comme des matelots. Le 2 juin au soir, les Anglais, bien reposés et bien préparés, mirent deux cents chaloupes à la mer, et le combat finit par l’incendie des vaisseaux de l’îlet. La sonde en trouve encore les restes ensevelis dans la vase, et la marée extraordinaire du 7 mars 1833 a même tiré

  1. Îlots à 10 kilomètres à l’ouest d’Aurigny, sur lesquels se dressent aujourd’hui trois phares qui forment un triangle équilatéral.