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doctrines de l’auteur, prouvent aux plus incrédules que la forme n’est pas une chose secondaire. Les intentions les plus justes n’obtiennent qu’un succès éphémère lorsqu’elles ne sont pas traduites avec évidence, c’est-à-dire d’une manière complète. Il n’est donné qu’aux intentions exprimées dans un style pur et châtié d’enchaîner pour longtemps la sympathie publique; mais pour atteindre ce but glorieux il faut un travail persévérant, et plus d’un sans doute reculera devant les difficultés et la durée de la tâche. Tant pis pour ceux qui faibliront, car ils n’obtiendront qu’une popularité passagère. Quant à ceux qui voudront prendre la peine de méditer sérieusement la leçon que M. Ingres vient de nous donner, ils n’auront qu’à s’applaudir de leur courage. Si les œuvres deviennent plus rares, elles seront assurées du moins d’occuper longtemps l’attention.

Ai-je besoin d’ajouter que la nudité du héros peut seule se concilier avec l’élévation du style ? Dans un tel sujet, le costume réel est un non-sens. L’auteur a voulu nous transporter dans les régions idéales : qui oserait dire qu’il n’a pas réussi ? Que le torse de son Napoléon rappelle le torse du Germanicus, je ne songe pas à le nier. Je demande seulement s’il était possible d’éviter cette ressemblance sans sortir de la donnée purement héroïque, et je ne crois pas qu’il y ait deux manières de répondre à cette question. Si, comme je l’espère, ce bel ouvrage obtient les honneurs de la gravure, si la reproduction en est confiée au burin de M. Henriquel-Dupont ou de M. Calamatta, les idées que j’exprime ici entreront bien vite dans le domaine public. Dans tous les cas, la leçon ne sera pas perdue. Bien que je préfère l’Apothéose d’Homère à l’Apothéose de Napoléon sous le rapport poétique, je mets ces deux ouvrages sur la même ligne, à ne considérer que l’élévation et la pureté du style. L’un et l’autre méritent d’être étudiés sans relâche. La génération qui grandit sous nos yeux, et qui aspire à la gloire dans les arts, y trouvera des enseignemens sans nombre. Les discussions soulevées par l’Apothéose de Napoléon ne sont pas près de s’apaiser, et suffiraient seules à démontrer qu’elle appartient à un esprit de premier ordre. Quant aux esprits frivoles qui voudraient n’y voir qu’un pastiche ingénieux, je n’essaierai pas de réfuter leur opinion, ce serait vouloir leur donner un sens qui leur manque.


J’ai retrouvé avec bonheur dans le salon de la Paix les qualités qui m’avaient séduit dans le plafond de la galerie d’Apollon : c’est la même abondance, la même spontanéité d’imagination. Le sujet proposé à M. Delacroix serait demeuré froid et inanimé entre les mains d’un peintre voué sans réserve aux traditions académiques; il a pris sous le pinceau d’un artiste indépendant et hardi une vie énergique