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La guerre avec les Hollandais fournit aussi matière à quelques belles scènes. Ces luttes acharnées, les plus grandes, les plus terribles qu’on eût encore vues sur les mers, sont décrites par M. Guizot avec simplicité, sans prétention à la vérité technique, mais avec toute apparence d’une exacte fidélité. Ce sont des tableaux de marine chaudement peints, franchement dessinés. On y suit dans leurs évolutions ces immenses escadres, on les voit se heurter, se déchirer les flancs. Des deux côtés même furie, les pertes et les gains semblent se compenser; mais entre les deux peuples, comme entre leurs navires, on sent que l’égalité n’existe déjà plus : l’un s’épuise même quand il triomphe, l’autre grandit encore au milieu des revers.

N’oublions pas enfin dans cette période, parmi ces événemens qui semblent des tableaux tout faits, le plus mémorable de tous, ce parlement chassé, mis à la porte, en plein jour, par un seul homme. Un tel coup de théâtre est dans toutes les mémoires, présent à tous les yeux. Chacun croit avoir vu cet homme, son geste, son regard, entendu ses paroles, ses rudes invectives, ses accablantes apostrophes, trivialités tragiques qu’on dirait empruntées à Shakspeare. L’historien en de telles circonstances n’a presque rien à faire, il écrit sous la dictée. Aussi M. Guizot borne-t-il son récit à la plus concise énergie, n’omettant rien, mais ne cherchant, pour ainsi dire, qu’à réveiller les souvenirs du lecteur.

Il est d’autres scènes, au contraire, que l’incurie, l’indifférence et parfois le calcul des historiens ont laissé tomber dans l’oubli; celles-là veulent être autrement exposées, il faut les remettre au grand jour. Tels sont certains procès, celui de Lilburne entre autres, ce chef des niveleurs, ce pamphlétaire indomptable, Camille Desmoulins et Hampden en un seul homme, poussant jusqu’au délire la verve incendiaire, et presque jusqu’au génie le sentiment de la légalité. Personne encore n’avait ainsi mis en lumière cette figure étrange, cette résistance héroïque. Le procès de Lilburne, sous la plume de M. Guizot, exposé dans toutes ses phases, est un curieux spectacle et un vrai monument de l’histoire judiciaire; mais un autre procès, plus connu, bien que toujours plus ou moins tronqué, nous vaut des pages encore plus belles. Nous parlons de l’action capitale intentée, après la mort du roi, à quelques-uns de ses derniers défenseurs, aux chefs les plus éminens du parti royaliste. Parmi ces nobles débris de la guerre civile, il est un homme qui s’élève, on peut le dire, au sublime par la rude fierté de sa défense et par la simplicité de sa vertu. C’est un personnage antique que ce pair d’Angleterre, un patricien de Rome et un martyr tout ensemble. Lord Capell a la tête haute devant ses juges, mais il fléchit humblement le genou pour demander publiquement pardon à son pays d’avoir un jour commis une faiblesse, d’avoir contre sa conscience, par entraînement et par crainte