Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/374

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le mal de mer, obéirent machinalement aux ordres qu’ils voyaient exécuter autour d’eux. Ils demeuraient comme hébétés, s’attendant à mourir et impatiens d’arriver au terme de la triste existence qui leur était imposée. Souvent ils recevaient des horions; les officiers subalternes, les matelots même, traitaient avec rudesse ces êtres étranges qui semblaient ne rien comprendre à la plus simple manœuvre : à bord d’un navire, où chacun a sa tâche, où une même volonté intelligente anime tous les esprits, on a si peu d’indulgence pour la maladresse et l’incapacité ! Cependant, à mesure qu’ils s’habituèrent au roulis et au tangage, les Puelches ressentirent plus vivement les affronts qu’on ne leur ménageait guère. Le cacique surtout était en proie à une fièvre de colère qui lui causait des accès de rage. Tantôt il contemplait la mer avec un morne désespoir, tantôt il se cachait en un coin du tillac, comme la bête fauve que fatigue le regard curieux de la foule. Lorsqu’il travaillait à la manœuvre, mêlé aux marins dont il portait le costume, il voyait passer près de lui le groupe des trois passagers. La jeune fille qu’il avait si hardiment enlevée dans la plaine, qui avait été pendant quelques instans sa proie, sa part du butin, il l’entendait rire et causer gaîment en se promenant au bras de l’officier qui l’avait lui-même vaincu; cet ennemi ne le reconnaissait pas même sous son nouveau costume. Lui qui, quelques mois auparavant, commandait à une horde redoutée, il obéissait maintenant à tout le monde sur ce vaisseau où il comptait à peine pour un homme.

Un jour, le vent ayant cessé tout à coup, le vaisseau se trouva arrêté par le calme. De folles brises couraient çà et là sur la mer, puis venaient expirer dans les grandes voiles qui retombaient lourdement le long des mâts. L’officier de quart, fatigué de voir le bâtiment immobile sur les eaux, faisait orienter les, voiles à tout moment, dès que le plus léger souffle ridait la vague; les matelots, ennuyés d’obéir à ces ordres multipliés, murmuraient sourdement. De leur côté, les Indiens balaient sur les cordages machinalement, avec beaucoup de lenteur et une parfaite indifférence. La vue de leurs impassibles figures exaspéra davantage l’impatient officier : faute de pouvoir décharger sa colère sur la brise qui ne voulait pas souffler, il se précipita la main levée sur le cacique. Celui-ci repoussa son agresseur d’un coup de poing; mais il avait affaire à un homme robuste, né dans les montagnes de la Catalogne. L’officier catalan, rendu furieux par cet acte de mutinerie qui avait pour témoins tous les marins de l’équipage, tomba sur le Puelche à bras raccourcis. Le pauvre Indien, sanglant et meurtri, resta étendu sur le pont.

Quand ils virent leur chef en ce triste état, les autres Indiens s’approchèrent de lui avec respect. Ils s’empressèrent de le rappeler à la