Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conclure ? C’est que la neutralité pour l’Autriche, c’est la réserve faite de l’indépendance de sa politique, indépendance qui s’explique par sa situation en Allemagne, par la diversité de populations et d’intérêts qu’elle a à faire marcher d’accord, et en outre par un contact direct avec la Russie, qui rendrait les effets de la guerre plus immédiats pour elle. Si, dans ces conditions, une circonspection plus grande semble naturelle, cela ne saurait laisser de doute sur le sens de l’intervention de l’armée autrichienne réunie sur les frontières de la Servie, le jour où elle agira. La meilleure garantie du véritable caractère de cette intervention, c’est la netteté et le courage intelligent montrés par l’empereur François-Joseph et M. de Buol dans les diverses phases de cette pénible crise.

La neutralité dans laquelle l’Autriche s’est réfugiée un moment avait pour elle un autre sens ; elle était en quelque sorte un point de ralliement avec la Prusse. Or quelle est aujourd’hui la véritable politique de la Prusse ? Jusqu’à ces derniers temps, le cabinet de Berlin n’a cessé de partager toutes les vues des puissances maritimes et de l’Autriche et de s’associer à leur action diplomatique. Ce n’est que depuis peu que des hésitations se sont élevées en Prusse. La première occasion a été un projet de convention à signer entre les quatre gouvernemens. Cette forme d’une convention a semblé un engagement trop direct au roi de Prusse, et, par une série d’élaborations successives, la convention est devenue le protocole du 9 avril. Au fond, la véritable cause des hésitations du roi, c’est le travail des influences russes au moment décisif. L’impératrice de Russie elle-même a, dit-on, usé de son pouvoir naturel sur l’esprit de son frère ; on a fait apparaître aux yeux de Frédéric-Guillaume le rôle d’un médiateur de la paix, et en attendant la première condition c’était évidemment de rester neutre. La répugnance de Frédéric-Guillaume à consacrer par m acte nouveau son adhésion à la politique des cabinets alliés a même été si vive un moment, que M. de Manteuffel a donné sa démission, et que le prince de Prusse refusait de revenir dans les provinces rhénanes reprendre son commandement. Tout récemment encore, c’est pour avoir exposé avec vivacité le péril de ces hésitations et la nécessité d’une politique plus nette que le ministre prussien à Londres, le chevalier de Bunsen, a été rappelé. Les pressantes sollicitations du prince de Prusse et du président du conseil ont eu heureusement leur influence, et le dernier protocole a reçu la signature de la Prusse. C’est peut-être seulement à l’aide de ce protocole que M. de Manteuffel a obtenu de la seconde chambre prussienne le vote d’un emprunt de 30 millions de thalers après une discussion des plus vives et des plus curieuses, où la commission proposait de n’accorder l’emprunt qu’à la condition de l’adhésion à la politique des puissances occidentales. Un autre terrain sur lequel se sont manifestées les hésitations du roi de Prusse, c’est celui d’une convention particulière avec l’Autriche. C’est le général de Hess qui avait été chargé par le cabinet de Vienne d’aller à Berlin négocier ce traité. Le but commun entre les deux pays était de se garantir mutuellement leurs possessions et de régler les conditions de leur action. Le traité avait été préparé, il semble aujourd’hui mis en doute. L’illusion du roi Frédéric-Guillaume, c’est de trop discuter avec lui-même et de se livrer aux perplexités d’un esprit qui ne demande pas mieux que de ne