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pas davantage sur ces contradictions ; j’aime mieux m’en tenir au dilettante et laisser l’homme aux psychologistes.

M. Beyle habita l’Italie pendant les dix plus belles années du règne de Rossini. Il vécut dans ces villes, au milieu de cette société que le divin chantre de Pesaro électrisait du feu de son génie. Une âme moins sensible que la sienne eût cédé à l’enivrement universel : c’était trop peu pour M. Beyle, il s’en constitua l’historiographe; il brigua l’honneur d’être le Dangeau de cette royauté, qu’il aime surtout à nous peindre en robe de chambre. S’agissait-il de courir la poste, d’aller de Rome à Naples et de Naples à Milan pour assister à la représentation d’un nouveau chef-d’œuvre, aucune fatigue, aucun soin, aucune tribulation ne coûtait à l’officieux, au bouillant dilettante. Et c’est ainsi qu’il a recueilli au moment même tant de mots heureux, de portraits, d’anecdotes piquantes, qui donnent à certaines pages de son livre sur Rossini une véritable originalité : c’est la vie italienne prise sur le fait et fixée par un procédé semblable au daguerréotype, mais avec un éclat que la lumière elle-même ne donne pas à ses ouvrages. Parlerai-je, après cela, de l’absence totale de composition ? ajouterai-je que ce défaut, qui dépare les meilleurs ouvrages de l’auteur des Promenades dans Rome, ne s’est jamais fait plus vivement sentir qu’en ces pages dépourvues de classification et d’ordre, où, le chapitre étant presque toujours envahi par la digression, c’est au hasard seul qu’il faut s’en remettre pour découvrir un paragraphe ayant trait au sujet ? Je dirai plus, on aurait peine à s’expliquer une réimpression de la Vie de Rossini en dehors du cadre des œuvres complètes de M. Beyle. Otez environ cinquante pages d’un sentiment et d’une éloquence rares, disséminées çà et là et qui figureraient très bien dans un volume de mélanges : le reste appartient à la circonstance et n’est que de la polémique, excellente sans doute il y a trente ans, lorsqu’il s’agissait de vaincre ou de mourir four la bonne cause, mais dénuée d’intérêt et de sens, aujourd’hui que cette bonne cause a triomphé jusqu’à légitimer les réactions.

La Vie de Rossini fut écrite avec des préoccupations militantes, elle fut écrite au cœur de la mêlée, mauvaise place pour bien juger un homme et ses contemporains[1]. Nous voudrions aujourd’hui

  1. On peut voir dans cet ouvrage, et aussi dans les Promenades dans Rome, ce que M. Beyle dit de Donizetti et de Bellini, et principalement son opinion sur M. Meyerbeer, dont il affecte d’écorcher le nom (il écrit Mayerber), en revenant toujours à ses cinquante mille livres du rente. Quelle surprise pour l’aimable diseur et quelle bonne leçon si dans cet amateur qu’il traite en gentleman et en millionnaire on lui eût montré l’illustre auteur de Robert le Diable, des Huguenots et du Prophète, le génie investigateur et puissant qui semble avoir pris à tâche d’agrandir le domaine de son art, et qui hier encore, dans cet admirable second acte de l’Étoile du Nord, nous révélait la musique de cette vie des camps, dont l’auteur de Wallenstein avait trouvé la poésie!