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Rivarol. Rossini encourut le même blâme de la part des rigoristes de Bologne, qui lui reprochèrent d’offenser Vaugelas, en d’autres termes de pécher contre les règles de la composition. La réponse que M. Beyle met à cette occasion dans la bouche de Rossini est fort spirituelle, et caractérise à merveille la féconde insouciance et l’heureux laisser-aller de cette période de sa vie. « Je n’aurais pas tant de fautes à me reprocher, dit-il aux pauvres rigoristes, si je lisais deux fois mon manuscrit; mais vous savez que j’ai à peine six semaines pour composer un opéra. Je m’amuse pendant le premier mois, et quand voulez-vous que je m’amuse, si ce n’est à mon âge et avec mes amis ? Voulez-vous que j’attende d’être vieux et envieux ? Enfin arrivent les quinze derniers jours, j’écris tous les matins un duetto ou un air que l’on répète le soir; comment voulez-vous que je m’aperçoive d’une faute de grammaire dans les accompagnemens[1] ? » Ce point de vue offrait trop beau jeu aux aristarques (ainsi qu’on disait alors) pour ne point servir aussi de texte à bon nombre de dissertations françaises.

A Paris, ce fut M. Berton qui, le premier, en sa qualité de membre de l’Institut, se chargea de rompre une lance au nom des bons principes, et de remettre à sa place cet Italien qui ne s’élevait pas au-dessus de la musique mécanique, et ne savait faire que des arabesques! M. Berton du reste, en abordant cette polémique, s’était pénétré d’avance du sentiment de son incontestable supériorité, et, pour éviter toute méprise, prévenait les gens du droit qu’il avait de leur parler ex cathedra : « M, Rossini a une imagination brillante, de la verve, de l’originalité, une grande fécondité; mais il sait qu’il n’est pas toujours pur et correct, et quoi qu’en disent certaines personnes, la pureté du style n’est pas à dédaigner, et les fautes de syntaxe de la langue dans laquelle on écrit ne sont jamais excusables. M. Rossini sait tout cela, et c’est pourquoi je me permets de le lui dire ici. D’ailleurs, puisque les écrivains de nos journaux quotidiens se constituent juges en musique, ayant pris mes licences dans Montano, le Délire, Aline, etc., je crois avoir le droit de donner mes opinions ex professa[2]. » — « C’est aux musiciens à faire de la musique et aux philosophes d’en discourir, » écrivait d’Alembert. M. Berton, à ce qu’il semble, n’était point là-dessus du même avis, et, sans s’en douter peut-être, ouvrait la voie à cette belle invention qu’on nomme aujourd’hui la critique des hommes spéciaux. Qu’un musicien passe de la pratique de son art à la théorie, qu’après avoir approfondi les règles de la science, il veuille en disserter, c’est

  1. Beyle, Vie de Rossini, t. Ier, p. 125, édition de 1824.
  2. Lettre de M. Berton, Abeille du 4 août 1821.