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Le carnaval de 1813 vit paraître Aureliano in Palmira, et l’automne de la même année le Turco in Italia, deux ouvrages qui furent donnés également à la Scala, mais avec des conditions de succès bien différentes, car si la partition héroïque n’éprouva qu’une sorte d’échec, l’opéra bouffe, vrai pendant de l’Italiana in Algeri, réunit tous les suffrages. Galli, la basse de prédilection, représentait le jeune Turc Sélim, espèce de damoiseau musulman jeté par la tempête sur les côtes d’Italie, et qui s’éprend de la première jolie femme qu’il rencontre, laquelle profite de l’occasion pour mettre à la torture un mari ridicule et rendre jaloux son amant. Paccini, le plus célèbre bouffe de l’Italie à cette époque, jouait le rôle de l’époux bafoué, et dans une certaine scène imita si parfaitement les gestes et les façons d’être d’un illustre personnage dont tout Milan racontait les récentes infortunes conjugales, que la salle entière se prit à pouffer de rire à cette inconvenante parodie. Le public de Milan, public très grand seigneur et qui volontiers se tient sur la réserve, avait commencé par se montrer froid à l’égard de Rossini, auquel il reprochait de s’être copié lui-même, et d’avoir pris avec la Scala de ces libertés qu’un maestro peut tout au plus se permettre avec les petites scènes; mais le burlesque incident vint à souhait modifier toutes ses dispositions, et l’immense éclat de rire qu’il provoqua fut comme un de ces coups de tonnerre qui changent l’atmosphère. On avait ri, on avait applaudi aux impayables évolutions du buffo Paccini, et quand arriva le charmant duo entre Sélim et Fiorella : Siete Turco, non vi credo, les applaudissemens recommencèrent avec un tel entrain, que le maître, forcé de quitter son piano pour se livrer à des salutations sans nombre, ne put plus se rasseoir de la soirée.

Idolâtré du public, aimé, choyé, gâté par les plus grandes dames et presque toujours aussi par leurs soubrettes, il n’eût tenu qu’à Rossini de se croire l’homme heureux et prédestiné par excellence; toutefois une chose lui manquait encore, chose que trop souvent, hélas! ne donnent ni la gloire ni les amours, d’ordinaire assez méprisée de l’homme de génie aux beaux jours de la jeunesse, mais dont une nature aussi peu chimérique, aussi incorrigiblement entachée dès le premier âge de sensualisme et de positivisme que l’était le divin maestro, devait, on en conviendra, faire état, — je veux dire l’argent. Sur cette terre où s’ébattaient ses vingt ans au soleil de la gloire, qu’une pluie de sequins eût été bien venue ! et combien sa muse qui rêvait l’indépendance, qui rêvait aussi, — Pourquoi ne l’avouerais-je pas ? — les douceurs et les raffinemens de la vie, combien sa muse épicurienne eût chanté d’actions de grâces au Jupiter capable de la traiter en Danaé ! Il y avait à cette époque un imprésario fameux, du nom de Barbaja, qui remplissait l’Europe du bruit de son faste et de ses