Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 6.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tour à tour, et l’humanité, qui recueille le fruit de tous ces travaux, va s’embellissant d’âge en âge : plante vraiment divine, s’écrie l’auteur des Idées sur la philosophie de l’histoire, plante merveilleuse que développent sans cesse tous les sucs de la terre, mais qui ne s’épanouira que dans le ciel !

Il y a là, si je ne me trompe, un fait bien digne de remarque : le premier grand ouvrage historique dont les lettres allemandes aient pu s’enorgueillir, ce n’était pas un historien de profession qui l’écrivait, c’était un théologien philosophe ; cet ouvrage n’était pas une histoire proprement dite, c’était une philosophie de l’histoire ! L’Allemagne, au temps de Lessing et de Herder, ne sait pas encore écrire l’histoire réelle, l’histoire des passions et des intérêts aux prises dans une période donnée ; mais elle pense, elle médite, elle s’élève peu à peu à la conception de l’ensemble. Éveillé par les érudits, qui ont rassemblé tant de faits et de notions diverses, son esprit philosophique et religieux plane sur ces tableaux confus et s’applique à trouver les lois qui président au travail séculaire de la famille d’Adam. Ainsi l’érudition d’une part, et de l’autre la philosophie de l’histoire, voilà ce que le pays de Leibnitz avait produit dans ce grave domaine, voilà quelles étaient les traditions et les ressources de son génie à l’heure où s’ouvrait le XIXe siècle.

Un des plus beaux titres littéraires du XIXe siècle, c’est la rénovation des sciences historiques. Chacune des nations qui marchent à la tête du mouvement intellectuel de l’Europe a déployé pour cette œuvre commune les qualités qui lui sont propres. On sait quelle a été la part de la France, et comme l’éclat et la profondeur ont été réunies dans des compositions magistrales. Citer les noms de MM. Augustin Thierry, Guizot et Mignet pour l’histoire politique, ceux de MM. Villemain et Cousin pour l’histoire littéraire, c’est rappeler les meilleures richesses de notre âge. Les Macaulay en Angleterre, et même, à un rang inférieur, les Mackintosh, les Hallam, les Alison de puissant Carlyle a sa place à part) nous ont fait apprécier dans leurs travaux cette vigueur sans effort, ce sens pratique et droit, en un mot, comme disait Novalis, cette netteté comfortable qui distingue nos voisins d’outre-Manche. — L’Allemagne, quel a été son lot ? quelle a été sa tâche ? qu’a-t-elle apporté à ce mouvement général ? Les qualités précisément que le long travail des siècles, nous venons de le voir, avait développées dans son génie. Érudite, elle a redoublé de patience ; passionnée pour l’histoire universelle, elle a donné plus librement carrière à ses audacieuses conjectures ; mais tandis que l’Angleterre et la France élevaient des œuvres où l’art immortalisait le savoir, les immenses travaux de l’Allemagne s’accumulaient sans qu’un monument durable révélât le génie d’un architecte.