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était terminée le 17 novembre; elle avait duré moins de six semaines. Le duc d’Albe se contente d’écrire à Madrid : « Ils sont sortis défaits, mourant de faim, la plus grande partie passée au fil de l’épée. » Après quoi tout retombe dans la mort; on n’entend plus encore une fois que le bruit des échafauds.

Les peuples ont leurs momens de lâcheté ou de stupeur; ni les paroles ni les actions n’ont plus de prise sur eux, et tout serait perdu si le salut devait venir de l’élan de la conscience publique. Attendre que les masses se réveillent d’elles-mêmes, ce serait attendre l’impossible; mais alors il y a des individus qui veillent pour tout un peuple, et c’est pour ces temps-là que les héros sont faits; en se conservant intacts, ils parviennent à ranimer les autres. Tels étaient en 1568 Guillaume et Marnix. La vie des Pays-Bas était en eux.

Qu’avait fait Marnix pendant cette courte campagne ? On a retrouvé la lettre[1] que dès le début il avait été chargé par Orange de porter, au milieu de mille dangers, à Louis de Nassau, déjà aux mains avec l’armée espagnole dans la Frise. Orange blâmait dans cette lettre son frère de s’arrêter au siège de Groningue, et prédisait le désastre qui allait s’ensuivre. Il envoyait Marnix comme un conseil, un autre lui-même, à ce bouillant Louis de Nassau, qui n’avait pour tactique militaire que sa devise écrite sur ses drapeaux : Les reprendre ou mourir! Maintenant ou jamais[2] ! Entraîné dans le désastre de Jemmingen, Aldegonde se réfugia en Allemagne, pendant que Guillaume se réfugiait en France. A peine sorti de la mêlée, on retrouve Aldegonde dans les synodes de Wesel et d’Emden. L’armée détruite sur le champ de bataille, il va de nouveau la rallier dans l’église. L’inimitié des luthériens et des calvinistes avait été une cause de ruine ajoutée à toutes les autres; il entreprend de réconcilier les sectes, et il obtient entre elles un commencement de trêve.

L’inertie des Pays-Bas avait laissé une impression profonde dans l’esprit de Marnix. Il avait vu de près la lâcheté des masses sourdes à l’appel de leur libérateur, la défection de la noblesse, qui déjà s’empressait autour de la tyrannie du duc d’Albe, l’avarice des riches marchands prêts à trafiquer de la foi nouvelle. Son premier mot fut un cri de malédiction contre le peuple qui avait tout renié. Ce sentiment déborde dans l’ouvrage que Marnix écrit vers ce temps[3] : La Belgique affranchie de la domination espagnole. On y sent la hauteur

  1. Groën van Prinsterer, Archives de la maison d’Orange-Nassau, t. III, p. 277.
  2. « Recuperare aut mori ; nunc aut nunquam. »
  3. En voici le texte : Belgicæ liberandæ ab Hispanis ὑπόδειξις ad patrem patriæ Gulielmum Nassavium principem Aurantium, anno 1571, april 18, exhibita ac nunc demum in lucem edita. Voyez l’ouvrage de M. Bakhuizen van den Brink : Notice sur le dixième denier. Gand 1848.