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sont arrivées en Europe par Brême, Hambourg et l’Allemagne, en 1852, d’où, en 1853, elles ont passé en France et en Angleterre.

En Europe, les manifestations ont eu principalement pour interprètes le mouvement des tables ou des objets susceptibles de tourner sur eux-mêmes. On ne sait pas bien comment on a passé des coups frappés d’une manière invisible aux coups produits par le soulèvement des pieds d’une table, et ensuite au mouvement en rond de la table elle-même. Nous observerons qu’il est infiniment plus facile de dissimuler l’impression produite par les doigts sur un objet mobile que les évolutions de l’organe de la voix qui produisent les effets de la ventriloquie. Quant à l’énergie que peuvent acquérir les impulsions concordantes de plusieurs personnes agissant de concert, on peut affirmer, d’après la mécanique et la physiologie, que ces forces sont plus que suffisantes pour produire tous les effets observés. Il ne reste d’obscurité que sur l’accord qui s’établit entre la pensée des opérateurs et les mouvemens qu’ils impriment au corps mobile. Sous ce point de vue, les tables européennes sont bien plus curieuses que les grossiers frappemens américains.


II.

Avant de considérer les tables comme des êtres intelligens ou recevant momentanément le don de l’intelligence, le plus merveilleux effet en apparence, c’était de voir se produire un mouvement soi-disant par l’action seule de la volonté. C’est encore la prétention de ceux qui ne veulent pas admettre que les doigts imposés à la table exercent sur elle une pression, même à l’insu de ceux qui la touchent, et qu’ainsi il se produit un véritable effet sans cause, puisque l’expérience a établi que tout mouvement exige une force agissant au moyen d’un corps doué de masse, de poids, de substance matérielle enfin, et qu’en admettant la thèse contraire on arriverait tout de suite au mouvement perpétuel, lequel exige une création continuelle de mouvement pour compenser les pertes et l’emploi de la force. On a cité comme un fait avéré l’exemple de la fille électrique, Angélique Cottin, qui agissait, a-t-on dit, sur des corps mobiles pour les mettre en mouvement par sa seule volonté. Voici les faits, comme ils ont été constatés par les académiciens chargés de s’occuper des prétendus prodiges magnétiques de cette fille, d’une nature somnolente, petite de taille, mais assez robuste de corps, et en apparence d’une apathie extrême au physique et au moral. Aucune parole ne sortait de sa bouche, et sa pensée paraissait aussi engourdie que sa langue; mais comme, suivant le proverbe, il n’est tel sot qui n’ait sa ruse, on va voir ce qui fut reconnu, et j’avouerai qu’en voyant admettre comme chose positive les manifestations de la fille électrique, j’ai conçu une grande défiance pour mille autres procès-verbaux de séances surnaturelles racontées par des témoins prévenus ou trompés. Remarquons qu’à cette époque la presse, au lieu de donner, comme aujourd’hui, le signal de la crédulité aveugle à la société, qui refuse de la suivre sur ce terrain, professait un scepticisme complet.

Sur l’exposé fait à l’Académie des Sciences par M. Arago lui-même, une commission fut nommée pour vérifier les faits. Notez que M. Arago n’avait pas le droit de refuser de porter devant le corps savant dont il était