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L’ouvrage est divisé en deux parties distinctes ; la première est consacrée aux principaux historiens du XVIe siècle, surtout aux écrivains de l’histoire générale, de l’histoire germanique et romane, comme dit M. Ranke ; la seconde, aux historiens plus spéciaux, aux chroniqueurs, aux biographes d’un homme ou d’une cité.

L’auteur place six noms diversement célèbres dans la première catégorie ; c’est d’abord Guichardin, le père de l’histoire moderne, puis l’évêque de Metz, Beaucaire, qui, dans ses Commentarii rerum gallicarum, a donné de précieux détails sur le XVe siècle et fourni maintes indications à Sismondi pour son tableau des républiques italiennes. Parmi les historiens de l’Espagne, le plus important à cette date, Mariana, méritait une place dans cette galerie ; les trois autres sont Fugger, Steidan et Paul Jove. L’étude que M. Ranke consacre à ces écrivains est un modèle de sagacité historique ; il est permis de la comparer, et c’est le plus bel éloge que je puisse en faire, à l’admirable travail qui ouvre les Récits mérovingiens de M. Augustin Thierry. M. Ranke, je l’avoue, n’avait pas de problèmes aussi ardus à résoudre que l’auteur des Considérations sur l’Histoire de France ; il ne vise pas non plus à cette philosophie supérieure et à cette mâle éloquence qui fait d’une étude sur la conception de notre histoire depuis huit siècles une création toute vivante et comme un dramatique tableau de la conscience nationale ; mais quel judicieux contrôle des témoignages ! quel sentiment de la méthode ! comme on voit bien que M. Ranke, l’égal en cela de M. Thierry, veut que l’histoire ait la précision de la science ! Il vous dira de quelle manière Guichardin a composé son œuvre ; il le montrera écrivant au jour le jour, enregistrant les faits à mesure qu’ils se produisent, et se souciant assez peu des causes et des conséquences ; il vous indiquera surtout dans quelles parties son témoignage est irrécusable, et dans quelles parties, au contraire, il faut absolument s’en défier. Si Guichardin, dans le récit de la bataille de Pavie, ne fait que reproduire l’inexacte narration de Galeazzo Capra, M. Ranke ne sera pas sa dupe. Si en écrivant son quinzième livre il copie presque littéralement ce même chroniqueur, s’il fait de nombreux emprunts à Rucellaï, s’il s’inspire de Commynes, rien de tout cela ne sera omis. Montaigne a beau dire à propos de Guichardin : « Il n’y a aucune apparence que par haine, faveur ou vanité, il ait déguisé les choses ; » M. Ranke dévoile ces choses manifestement déguisées. D’où est donc venu le succès du livre de Guichardin ? Pendant l’espace de cinquante années, on en a publié dix éditions italiennes ; on l’a traduit en anglais, en allemand, en hollandais, en français, et trois fois en espagnol ; la renommée de l’auteur grandit encore en vieillissant, et le tableau des guerres d’Italie, admiré par les meilleurs esprits